Anselm Kiefer à la galerie Thaddaeus Ropac — Pantin
D’emblée donc, l’installation Thora annonce la signature de l’artiste ; ici, la peinture s’écrit à la mine de l’art. Une mine qui perce et transperce l’imaginaire et les mythes bibliques pour en fouiller toutes les aspérités et en révéler les possibles, à l’image de ses peintures, de ses sculptures et de ses installations, travaillées de « coups », s’échappant de leurs frontières autant qu’elles semblent y avoir été creusées. Dans ces traces, dans ces sillages, Anselm Kiefer opère, avec une force rare, sa réflexion et orchestre une fois de plus la rencontre fructueuse entre l’énergie symbolique de sa recherche (ici portée sur ce monde intermédiaire des limbes) et la puissance formelle de ses compositions.
L’art de Kiefer appelle une fois de plus tous les superlatifs, s’appropriant l’espace pour rendre une copie sans faute. Dans ses installations, la rouille se mêle aux pierres crayeuses, les tonalités chaudes se voient sublimées par de subtiles incursions de couleurs, éclats de lumière venant alléger cette étrange atmosphère. Rubans de métal, tournesols argentés, Anselm Kiefer invente une mécanique mythologique qui se déploie dans l’espace avec une poésie rare, comme en témoignent ses sculptures de foetus « non-nés » qui, posées auprès de roches volcaniques, transforment la fatalité d’une « non-vie » en nécessité d’existence « à venir ».
Poisseuses, inquiétantes et vertigineusement hypnotiques, les peintures semblent jaillir de la toile comme du sol et leur libération se fait mouvement qui tempête. Plus qu’organique, sa « peinture », multipliant les matériaux, devient organe, membre à part entière apte à recevoir, à porter et à supporter les éléments extérieurs (chaises, barres métalliques et aile d’avion).
En prenant le parti de jouer aussi bien sur l’aspect méditatif que sur la puissance spectaculaire de son œuvre, la scénographie de « Non-nés » offre une entrée d’une rare pertinence dans l’œuvre de l’artiste. Respiration, accalmie ; les espaces remarquables de ce nouvel espace permettent de scander le rythme de l’exposition et de prouver le rôle de premier plan que risque de jouer cette extension de la galerie dans les années à venir pour l’art francilien.