Dans la place — Pavillon Carré de Baudoin
Présentée du 22 septembre au 23 décembre, l’exposition Dans la place au Pavillon Carré de Baudoin invite les artistes résidents de la Villa Belleville à exposer au cœur d’une proposition qui énergique et plaisante qui a de quoi réjouir.
« Dans la place — Une exposition hors les murs de Stéphane Corréard au Pavillon Carré de Baudouin », Villa Belleville du 22 septembre au 23 décembre 2017. En savoir plus Un plaisir d’abord de voir le Pavillon Carré de Baudouin s’ouvrir à nouveau à l’art contemporain. Un plaisir ensuite de découvrir cette association entre les générations s’organiser avec autant d’audace que d’aisance. Un trait d’union inédit entre le commissaire invité, Stéphane Corréard, figure de l’art contemporain en France et observateur avisé de la jeune scène française et la jeune garde de l’art français, représentée d’une part par deux artistes désormais internationaux Neïl Beloufa et Mohammed Bourouissa et d’autre part par les résidents de la Villa Belleville, une structure dynamique qui accueille depuis plus d’un an des artistes émergents aux pratiques multiples.Ouverte sur l’art et son histoire, Dans la place fait le pari d’une confrontation inédite entre les œuvres avec une première salle dédiée à la peinture de l’artiste suisse Jürg Kreienbühl et ses paysages urbains d’une France populaire auxquels son réalisme acharné confère une étrange poésie. Si l’on n’est pas immanquablement séduit par la composition de ces images « objectives », le travail sur les matières, les jeux de couleurs et la détermination radicale d’un peintre à rendre, sans pathos ni sensationnalisme le portrait d’une ère industrielle sauvage conservent une valeur inestimable. Les transformations violentes se ressentent ainsi jusque dans la matière même du sol de ces bidonvilles, des amas de matière que rien n’aura su digérer et qui constituent le théâtre de vies en marge de grands ensembles architecturaux qui sont alors autant d’objets de désir. Une mise en avant d’un peintre méconnu pertinente et subtile dans un quartier qui vit à plein, et ce depuis des dizaines d’années, les soubresauts des logiques économiques nationales (voire mondiales) qui président à sa redistribution architecturale. La Villa Belleville en est elle-même un produit, ancienne usine de clés reconvertie en ateliers d’artistes.
Mohammed Bourouissa présente, lui, La Valeur du produit, une vidéo de 2013 qui nous place face à un coach qui nous détaille le programme d’une réussite économique menée avec l’efficacité d’une « blietzkrieg ». Terriblement actuelle et banalement commune, cette idéologie de la « réussite » a des faux airs de leçon programmatique où vie, sociologie et affects se confondent avec ambition économique et réussite marketing. Une vidéo que l’on avait d’ailleurs pu voir dans l’atelier du second artiste invité, transformé alors en lieu d’exposition lors de C’est la vie, Neïl Beloufa, qui imagine une structure accueillante et ouverte, pensée comme un lieu pour les échanges à venir avec les artistes de l’exposition.
À l’étage, autour d’arcades d’un kitsch délicieux se répartissent huit artistes en autant d’espaces personnels. Peinture, sculpture, photographie se rencontrent dans cette présentation sobre dont on regrettera simplement un éclairage qui ternit considérablement l’audace explosive de certaines pièces. À commencer par les compositions en coquillages allumées de Sophie Brillouet qui recompose à partir de cette matière première riche de symboles et de souvenirs des billets de banque en franc CFA. Dans un même contre-pied à la technique « décente » et au « bon goût », Lorraine Châteaux exploite des techniques artisanales voire purement récréatives pour penser des sculptures envahissantes qui adoptent des formes absurdes et absconses, oscillant entre élément décoratif et outil fonctionnel brinquebalant, bégayant sa propre efficacité. La peinture d’Elvire Caillon, elle, relate des moments d’activité en suspens où les figures humaines, neutres et presque neutralisées s’effacent dans l’explosion de couleurs qui les entoure. Une étrange sensation d’apesanteur, entre banalité et magie pour produire des fragments d’histoires aussi intrigants dans leur simplicité que captivants dans ce qu’ils nous cachent.
Enfin, Bianca Bondi, elle, déploie des sculptures comme autant d’autels au charme électrique qui font de l’assemblage des matières végétales et artificielles une source d’esthétique de la ruine et des ruines technologiques à venir. Véritable point d’orgue de cette exposition aussi respectueuse des œuvres montrées que capable de pointer leur forte singularité ; sa superbe confrontation avec les pièces de Paul Gounon, des reproductions bon marché de la statuaire antique qu’il découpe, rassemble ou démembre pour en faire des ersatz de trouvailles archéologiques dont la patine ajoute une gravité superbe à l’entreprise de détournement.
Joyeuse, audacieuse et bien plus délicieusement dérangée qu’elle ne le laisse croire, Dans la place détonne autant qu’elle étonne, ne se donnant qu’à travers une certaine dose d’appétit pour la destruction qui semble à l’œuvre, en secret, derrière la plupart des pièces présentées. Malignes et hermétiques aux codes de la bienséance, elles ne cachent pourtant aucune ironie avilissante mais semblent célébrer bien plutôt la joie de la production, le plaisir de la manipulation de matières et les possibilités narratives qu’elle offre, s’accrochant à l’histoire ou s’en émancipant, glissant cesse entre mélancolie et jovialité. C’est cette générosité intelligente et presque pudique qui, sans être béate ni condescendante, garantit un véritable goût du commun qui émane d’une exposition capable de partager, sans artifices, sans concessions, des imaginaires singuliers et libres qui sont autant d’échos à retenir précieusement.