Helmut Newton au Grand Palais
Pourtant, contre toute attente, et c’est là que point toute l’impunité de son génie, le potentiel érotique de ces images à l’explicite parfois gênant, s’évanouit fugacement. Instantanément, ou presque, l’émoi possible prend les traits d’une excitation intellectuelle. Car donnée si frontalement, la chair offerte de Newton coupe court au pouvoir de l’imagination. Aussi, parce qu’il n’y a plus de mécanisme érotique engendré par l’effort imaginatif, la barrière du désir est-elle dressée de façon
principielle. Helmut Newton interdit d’imaginer quoi que ce soit d’autre que ce qu’il montre. Dans cette crudité et cette obsession exhibitionniste des corps, il sait imposer une implacable décence.
Postulat que le maître a su exprimer à merveille dans un geste méthodique devenu signature ; sur la première image d’un diptyque, les femmes s’avancent vêtues, lorsque sur la seconde, elles marchent encore, mais nues. De l’une à l’autre, ces femmes ont gardé la pose, dans une précision qui donne à voir ce que l’oeil décèlerait s’il avait le joyeux pouvoir de percer à jour les chandails, robes ou trench de ces dames. Par l’image, il réalise un fantasme sans doute plus masculin que féminin : déshabiller du regard et déjouer parfaitement la nudité… Mais là encore, désir, il n’y aura point. Cette série fonctionnant bien plus comme l’illusion d’une abolition de ce que cache la société, des corps tenus derrière les habits, qu’une érotisation sur papier glacé. Il offre peut-être même au regardeur l’idée d’un paradis originel retrouvé dans une absence totale de convention. Une vision du renoncement au conformisme, en somme bien plus prude que ce qu’il laisserait croire.