Peter Saul — Galerie Almine Rech
Avec une sobriété qui en attise toute l’incandescence sarcastique, la galerie Almine Rech expose jusqu’au 29 février une sélection de toiles de Peter Saul, figure respectée d’un art qui ne respecte rien d’autre que celui qui le regarde.
« Peter Saul — Art History is Wrong », Galerie Almine Rech du 18 janvier au 29 février 2020. En savoir plus Icône avant-gardiste de la Bad Painting, figure contradictoire d’un Pop Art kamikaze, Peter Saul fait délirer sa peinture dans le manège d’un monde pétri d’horreurs et d’absurdités qu’il restitue avec une précision d’orfèvre en un théâtre de la folie et de la décadence dont il est littéralement l’un des inventeurs à la suite des délires graphiques du magazine MAD d’Harvey Kutzman qui l’ont fortement influencé dans les années 1950.Face à l’expansion des images, à la multiplication des supports de représentation enclins à générer la séduction, à attirer, Peter Saul a toujours déjoué cet étrange amalgame que des siècles de capitalismes ont fomenté entre image et séduction, entre monstration publique (« publicité » au sens étymologique du terme) et désir de posséder. Il emprunte ses codes pour en rendre une copie monstrueuse, passée par l’acide d’un imaginaire alternatif qui en pervertit l’unité, pour retrouver dans la production visuelle un sentiment singulier, un langage fait de peur, de détours, de rejets mais aussi d’attirance, de magnétisme incertain qui pousse à chercher plus encore ce que son imaginaire peut produire.
Abstraction, cubisme, peinture de genre, impressionnisme, art pompier, Pop Art ; à l’image du titre de l’exposition, Art History is wrong,face au miroir kaléidoscopique que lui tend la peinture de Peter Saul, l’histoire de l’art ne peut qu’avoir tort, débraillée et pervertie dans ses catégories. Son banquet orgiaque des horreurs le prouve, chaque erreur se donne comme un nouveau possible où la couleur, la matière peinture deviennent prétextes à de nouvelles physiologies, où la chair se métamorphose et s’adapte aux nécessités de « corps paysages » dictant leurs propres lois organiques. Ses corps, blancs, noirs, masculins, féminins, outrageusement caricaturés et malicieusement réifiés sont hissés aux rangs de chimères divines où la sexualité passe par le fantasme de nouveaux orifices.
Cette imagerie si singulière et pourtant aujourd’hui si familière, si elle a ses limites propres à tout « mauvais genre » ne disparaît pas et son influence, symbole de libertés autant que d’images communes, répétables, continue d’irriguer l’imaginaire de nombreux artistes dont il est l’une des plus éclatantes influences. Ce plaisir d’inversion des idoles, cette joie de percevoir dans l’absurde, dans un monde immonde le reflet du nôtre, c’est celui de la peinture elle-même, prise au piège de son aura qui n’attend qu’une chose ; se déployer à nouveau pour souiller sa propre tentation du sublime.
Le piège fonctionne alors pour ce que l’image est et non pour ce qu’elle représenterait, pour un produit tiers qu’elle viendrait vanter. Son exubérance ne tient qu’à elle et son grotesque rejette toute catégorie pour mieux pointer la véritable direction de ce carnaval des fous. Il y a bien alors dans la peinture de Saul du désir, mais pas celui de s’approprier, pas celui de posséder mais bien plutôt désir de suivre, d’en avoir encore plus, d’en être et de continuer à jouir de ces textures impossibles, de ces corps imaginaires dont les frottements, les heurts et les caresses semblent accessibles à tout le corps par le biais du seul œil. Un œil, tordu, outragé, encastré dans des visages, des maisons, des bouches qui, ne défendant rien et attaquant tout, lui, a raison.