Panorama 07/12
Didier Vermeiren à la maison rouge ••
Entre dénuement formel et sensualité en creux, Didier Vermeiren propose une réflexion jalonnée de références à l’histoire de l’art. Les pièces présentées, ainsi que la série de photographies Profils. Cariatide à la pierre, parviennent à extraire l’essence d’un œuvre empreint de rigueur, où point pourtant la lutte du corps et de la matière, où la rudesse s’articule à l’expérience du sensible. Autant d’aspects que restituent cette mise en espace savamment chaotique, favorisant les points de vue multiples et les jeux de miroir. — P.B-H. — Didier Vermeiren à la maison rouge jusqu’au 3 septembre.
Shaman / Showman — Karl Holmqvist & Oscar Tuazon ••
En remodelant l’espace de la Galerie Chantal Crousel (à la Douane), Oscar Tuazon brouille à nouveau les pistes entre architecture et installation plastique. Il a fallu monter quatre murs pour construire les incroyables portes qui constituent le cœur de cette exposition qui nous somme doucement de franchir des seuils et d’éprouver le vertige du passage. Avec le minimalisme qu’on lui connaît, Oscar Tuazon questionne l’espace et lui redonne, par le vide, sa présence palpable, étourdissante. D’où vient cette force simple du bâtisseur métaphysique ? De son éducation dans une communauté de Quakers ? De son génie. — L.C.-L. — Shaman / Showman — Karl Holmqvist & Oscar Tuazon à la Galerie Chantal Crousel, la Douane jusqu’au 27 juillet.
Le Mont Fuji n’existe pas ••
Après leur très convaincante exposition Le Sentiment des choses, le duo de commissaires Élodie Royer et Yoann Gourmel investit à nouveau le Plateau avec Le Mont Fuji n’existe pas. Tournée vers la question de l’expérience, l’exposition parvient à mettre en scène la possibilité de l’absence. Car depuis les marches solitaires d’Hamish Fulton jusqu’à la reconstitution (sans œuvres) d’une exposition organisée en 1967 par James Lee Byars en passant par les performances du collectif japonais The Play, Le Mont Fuji n’existe pas est un éloge de l’immatériel qui repense l’idée même d’une exposition. Un défi brillamment relevé grâce à une scénographie aussi inventive que pertinente sur le plan esthétique. — G.B. — Le Mont Fuji n’existe pas au Plateau jusqu’au 29 juillet.
Fernando Ortega au Palais de Tokyo •
Fernando Ortega puise dans les failles du Palais de Tokyo — une fuite d’eau au plafond — la matière de son « conceptualisme poétique ». Cette installation in situ — assortie de photographies d’une barque, que son passeur, sans doute, sait vouée aux caprices de la rivière — infiltre des espaces d’incertitude. Minimal, propice au vide, l’ensemble développe des narrations parallèles et tisse des liens invisibles. Et l’artiste de s’effacer devant la force de l’accident, qui, dans sa discrétion, opère autant une disjonction des réalités qu’une subtile métamorphose du lieu. — P.B.-H. — Fernando Ortega au Palais de Tokyo jusqu’au 3 septembre.
Alain Séchas — Sans cimaise et sans pantalon •
Sans cimaise et sans pantalon allie pièces du Musée des Beaux-Arts de Nantes et montage vidéo, sculpture abstraite et animalière. Alain Séchas, commissaire d’exposition, exploite avec audace leurs correspondances : le Gorille de Frémiet y rencontre l’art de Gilioli, interrogeant la charge émotionnelle des œuvres. L’anachronisme prend, dans ce contexte, toute son acuité ; la tragi-comédie n’est pas loin, celle-là même que joue à l’envi notre société. Alerte et allègre, convoquant subtilement le pouvoir anarchique du rire, le parcours séduit par son esprit d’à-propos et offre une lecture muséale insolente de liberté. — P.B.-H. — Alain Séchas — Sans cimaise et sans pantalon au Palais de Tokyo jusqu’au 3 septembre.
Gerhard Richter — Panorama •••
La rétrospective du Centre Pompidou consacrée au peintre allemand Gerhard Richter signe un commissariat remarquable et éclaire brillamment les variations d’un œuvre déchirant de subtilité, classique jusque dans l’abstraction. Une esthétique contemporaine par ses codes donc, mais dont la manière et l’esprit restent fidèles à un autre temps. Ou encore, une élégance immanente dont l’incarnation subtile serait celle d’une tradition implicite, intégrée, fondue dans la matière. Car l’accès à la modernité chez Richter se fait dans la perfection, maître mot du classicisme au XVIIème siècle. — L.C.-L. — Gerhard Richter, Panorama au centre Pompidou jusqu’au 24 septembre.
Clémence Torres — Dans le vide, l’horizon disparaît ••
Parois de verre, miroirs et mains courantes : Clémence Torres s’empare ici de la rhétorique de l’architecture. Servie par la densité et la précision des formes, son installation révèle toute la singularité du Palais de Tokyo. Une « construction du regard » méticuleuse va jusqu’à transformer la perception du site. Matériau brut et concept spatial se soutiennent l’un l’autre pour redéfinir les limites de la physicalité. La mobilité du corps est centrale ; l’artiste le scrute, l’arpente à la lumière d’un espace-temps malléable, questionnant l’inclusion du spectateur dans l’œuvre. Alors, l’intime affleure au gré d’interstices et de dispositifs spéculaires, et du métal jaillit la rumeur de la vie. — P.B.-H. — Clémence Torres au Palais de Tokyo jusqu’au 3 septembre.
Morgane Tschiember — Seuils ••
En recevant Morgane Tschiember, la fondation Ricard propose une entrée subtile et réussie dans l’œuvre de cette artiste éclectique qui revisite l’histoire des formes et des matières. Le parti pris de la sobriété adopté ici par la commissaire d’exposition Claire Moulène permet ainsi de mesurer la force de pièces capables d’habiter l’espace avec une rare cohérence. — G.B. — Morgane Tschiember — Seuils à la fondation Ricard jusqu’au 7 juillet.
Ellsworth Kelly ••
Pour exposer Ellsworth Kelly, nul besoin d’en rajouter. C’est, semble-t-il le parti pris de la galerie Marian Goodman qui, dans cette exposition du maître, a choisi de limiter l’accrochage à quatre œuvres, quatre éléments d’une installation réalisée cette année. Et, à 88 ans, Ellsworth Kelly parait plus que jamais ancré dans sa radicalité. Quatre toiles, cinq couleurs comme un manifeste. Vert, jaune, rouge, bleu et surtout blanc, cette base de toutes les courbes qu’il met en scène. Derrière la sobriété et le minimalisme d’une série de monochromes pointe la stupéfiante décontraction d’un artiste libre qui invente ses évidences. — G.B. — Ellsworth Kelly à la galerie Marian Goodman jusqu’au 13 juillet.
Wim Delvoye ••
Subversion ? À peine. Provocation ? Plus du tout. Wim Delvoye s’est indéniablement assagi. Voire embourgeoisé. Pour preuve, ses cochons tatoués sont ici rhabillés et parés de soie. À se demander même si contrepoint contemporain il y a, tant son détournement fait illusion et se camoufle si bien dans cet environnement précieux. Sa chapelle en acier corten dans la salle d’Anne de Bretagne, semble en effet d’origine. Les touristes admireront son style gothique composite, au même titre et avec le même sérieux que les antiquités du département égyptien. De même que ses porcelaines, même anamorphosées (en torsion) s’accordent parfaitement avec les statuettes de la section des Objets d’art. Wim Delvoye, avec le temps, se fond à merveille dans cet académisme. Et tant pis si l’ironie est perdue, une lecture au premier degré de son travail est désormais possible. Et c’est heureux. — L.C.-L. — Wim Delvoye au musée du Louvre jusqu’au 17 septembre.
Anri Sala •••
L’artiste albanais, qui représentera la France à la prochaine Biennale de Venise, occupe magistralement la galerie sud du Centre Pompidou avec un ensemble de pièces — films, photographies, objets — dont la musique constitue le fil rouge. En compositeur, Anri Sala a découpé quatre de ses films réalisés entre 2008 et 2011, et les a “remixés” afin d’en extraire douze séquences montrées alternativement sur cinq écrans, projections et spatialisation des sons rythmant et aiguillant les déambulations du visiteur selon un cycle d’une heure mis en boucle. — A.-L.V. — Anri Sala au Centre Pompidou jusqu’au 6 août 2012.
La Triennale, Intense Proximité •••
Formidable initiative que d’avoir repensé en profondeur les bases de la Triennale parisienne. Exit la Force de l’art pour retrouver, dans la subtilité et l’intelligence, une véritable ambition face à l’art, dans son engagement comme dans sa capacité à engager le regard. Dans ce parcours foisonnant, inattendu et inventif, c’est une cartographie des rapports humains qui se fait jour, jouant de la distance autant que du rapprochement. Sans jamais tomber dans une idéologie de façade et profitant de l’éclectisme formel et générationnel de ses participants, Intense Proximité repense la place de l’art dans la société en même temps qu’elle en découvre la fabuleuse vertu réflexive. — G.B. — La Triennale, Intense Proximité au Palais de Tokyo jusqu’au 26 août 2012.
Christopher Wool ••
Judicieuse idée que cette sélection resserrée sur le très récent travail de l’artiste, la trentaine de toiles offrant ainsi une puissante cohérence. Le parcours déroule dès lors une création pensée et campe un temps particulier, infiniment dense dans sa qualité réflexive. Recherche incessante, exploration en puissance, son œuvre se conjugue au présent. Le procédé du double cadre l’illustre bien ; Wool trace souvent une marge nette censée contenir sa création, mais il l’outrepasse, systématiquement. La limite qu’il se fixe n’existant que pour être transcendée. Est-ce une façon d’être à la fois à l’extérieur de son œuvre et en son sein dans un même mouvement ? Difficile de ne pas lui prêter en tout cas cette envie d’exprimer physiquement le recul conceptuel qu’il a sur son travail et son besoin constant d’en analyser les effets. Éprouvant, dans le bon sens du terme. — L.C.-L. — Christopher Wool, au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris jusqu’au 29 août 2012.
Beauté animale •
Quelques très belles œuvres peinent à sauver des eaux cette exposition au thème prometteur mais somme toute assez décevante. Les cartels versant dans l’excès pédagogique rappellent discrètement et en creux la nécessité de proposer de temps à autres des parcours grand public. Mais faut-il en oublier pour autant la dimension artistique et confondre l’exercice avec un exposé de sciences naturelles ? — L.C.L — Beauté animale, aux Galeries nationales du Grand Palais du 21 mars au 16 juillet.
Helmut Newton •
Contre toute attente, et c’est là que point toute l’impunité du génie d’Helmut Newton, le potentiel érotique de ces images à l’explicite parfois gênant, s’évanouit fugacement. Instantanément, ou presque, l’émoi possible prend les traits d’une excitation intellectuelle. Car donnée si frontalement, la chair offerte de Newton coupe court au pouvoir de l’imagination. Aussi, parce qu’il n’y a plus de mécanisme érotique engendré par l’effort imaginatif, la barrière du désir est-elle dressée de façon principielle. Helmut Newton interdit d’imaginer quoi que ce soit d’autre que ce qu’il montre. Dans cette crudité et cette obsession exhibitionniste des corps, il sait imposer une implacable décence. — L.C.-L. — Helmut Newton, aux Galeries nationales du Grand Palais du 24 mars au 30 juillet.