Panorama 11/11
Mario Giacomelli, Photographe et poète ••
Privés de leur contexte, certains tirages de Giacomelli tiennent plus de la peinture que de la photographie. Ils rappellent que l’artiste fut peintre avant de devenir l’immense photographe que l’on connaît. On pense parfois aux pictorialistes mais aussi, au détour de ses champs labourés shootés depuis un avion, à l’abstraction de Mondrian. D’autres influences, sûrement inconscientes, affleurent. Dans l’épreuve (ci-dessus) « Io non ho mani che mi accarrezzino il volto », les séminaristes paraissent voler dans le cadre à la manière des compositions de Brueghel l’Ancien. Paysages neigeux accueillant des personnages suspendus dans le temps, irréels. Le graphisme pur et sophistiqué laisse imaginer qu’une main de peintre a exécuté ces silhouettes longilignes d’un noir profond sur ce fond blanc. Un parcours d’une incroyable charge émotive. — L.C.-L. — Mario Giacomelli, Photographe et poète à la galerie Berthet-Aittouarès du 3 novembre au 10 décembre.
Albert Oehlen ••
Par ses matières, ses couleurs, le minimalisme millimétré d’Oehlen joue encore une fois des formes, des supports et des surfaces pour organiser la rencontre des motifs, tour à tour libérés ou prisonniers de la composition. Il se passe ainsi des milliers d’histoires dans ces agencements aux allures de puzzles labyrinthiques qui, s’ils abandonnent la couleur, n’en retrouvent pas moins la matière peinture. Empilement de couches et de sous-couches, de traces et de disparitions, les pièces d’Oehlen font de la réaction du pigment sur la toile une matière essentielle à l’identité de sa peinture, à sa possibilité de disséminer la trace dans l’espace et proposent, dans le silence de la toile, une spectaculaire invention des formes. G.B.Albert Oehlen à la galerie Nathalie Obadia du 15 octobre au 17 décembre.
Fra Angelico et les maîtres de la lumière ••
Grâce au Musée Jacquemart-André, Paris prend des airs florentins de la première Renaissance. Dépaysement d’un luxe certain. Toutefois, un regret subsiste, l’exposition, d’une richesse incontestable souffre peut-être par touches d’un déficit de pédagogie. L’abondance des œuvres rarement montrées en France a peut-être fait oublier au commissariat d’expliciter et d’approfondir un point important pourtant abordé à plusieurs reprises dans le parcours : la transition entre l’art gothique et la Renaissance naissante. Point noir, ou plutôt gris qui restera un détail, compte tenu de la scandaleuse beauté des œuvres divinement agencées. — L.C.-L. — Fra Angelico et les maîtres de la lumière au musée Jacquemart-André du 23 septembre au 16 janvier 2012.
William Eggleston, Election Eve ••
Temps fort. Représenté depuis peu par la Galerie Gagosian, le pionnier de la couleur laisse exposer pour la première fois sa série « Election Eve », réalisée pendant la campagne présidentielle de 1976 dans le fief de Jimmy carter. Certains voient dans cette série inédite une quiétude pleine d’espoir avant l’élection d’un président démocrate. Routes infinies interprétées comme perspectives ouvertes vers un avenir meilleur, parkings déserts, dans l’expectative, calme de l’attente. Cette interprétation est séduisante mais n’est que théorique. En pratique, Eggleston porte un regard poétique sur le hors champ du monde, objets inanimés, tricycles, voitures, tables… Il sublime le réel et fait d’un parking abandonné une œuvre d’art. Peu importe si la mise au point se fait sur le pot d’échappement. Il y a son regard si tendre, presque animiste sur la matière morte. L.C.-L. William Eggleston, Election Eve à la galerie Gagosian du 9 novembre au 23 décembre.
Matisse, Cézanne, Picasso, l’aventure des Stein •••
Les Galeries nationales ont récemment pris des airs germanopratins et semblent avoir déménagé quelque part rue de Fleurus. Au 27. Dans cet appartement où les Stein ont eu le bon goût de tisser la modernité picturale au tournant du XXème siècle. Quelques photographies au fil de l’exposition sont là pour le rappeler. S’y dessine un salon, haut de plafond, aux murs tapissés de toiles impressionnistes et cubistes. Des Bonnard, Matisse, Picasso, Vallotton modestement installés entre un pot de fleurs et un miroir, et plus loin encore, le Nu bleu ! En parcourant cette renversante collection, l’envie de faire salon et de ne jamais quitter ce monde traverse l’esprit. Pour plonger jusqu’à s’y perdre dans les Pierreuses au bar (1902) de Picasso et se noyer dans cette modernité naissante. — L.C.-L. — Matisse, Cézanne, Picasso, l’aventure des Stein au Grand Palais du 5 octobre au 16 janvier 2012.
Diane Arbus ••
Diane Arbus. Le titre de l’exposition, d’une simplicité laconique et descriptive annonçait la couleur. Diane Arbus « no comment » voilà ce que semble exprimer le commissariat de cette exposition lapidaire dans son métadiscours mais excessivement pénétrante. Une brève introduction et c’en sera fini des écritures qui défilent habituellement sur les murs du jeu de Paume. Nul cartel. Aucun commentaire ne viendra interférer avec les épreuves laissées comme seules au milieu des pièces. Dans cette solitude, cet œuvre abandonné, le regardeur tombe nez à nez avec l’informe et, pour la première fois sans doute, face à Arbus. Personne ne sera là pour le guider. A quoi bon le guider ? C’est œil pour œil. Son œil face à celui de celle qui saisit l’informe pour lui en donner une. Ou la vertu du dépouillement. — L.C.-L. — Diane Arbus au Jeu de Paume du 18 octobre au 5 février 2012.
Topographies de la guerre •••
Topographies de la guerre, en engageant une réflexion polymorphe et profonde sur la représentation de la guerre positionne l’institution sur le terrain d’un art qui questionne son époque et féconde le regard de son intelligence. Une exposition brillante et d’une beauté formelle remarquable. Images concrètes des traces physiques de la guerre, procédés visuels artistiques qui la simulent, déréalisation de celle-ci par les jeux vidéos… Autant de perspectives qui éclairent et circonscrivent habilement le concept d’un mouvement de va-et-vient entre un avant et un après de la guerre. — L.C.-L. — Topographies de la guerre au BAL du 16 septembre au 18 décembre 2011.
Edvard Munch — L’Oeil moderne •••
Promesse d’une représentation résolument nouvelle de l’artiste norvégien, l’exposition dépoussière sans complexe Edvard Munch d’un trop vieil ancrage, en lui faisant enjamber conceptuellement le siècle suivant dès 1880. Son incroyable modernité, autrefois passée sous silence, jaillit au fil des 140 œuvres. Il faut saluer le pari osé des commissaires qui consiste à faire du peintre, plus généralement associé au pré-expressionisme et au symbolisme, un cinéaste mais aussi un photographe… Contre toute attente ce défi est relevé haut la main et, sous nos yeux, la métamorphose opère. Le Cri qui, pour la première fois, n’est plus un axe majeur pour lire l’œuvre du visionnaire est passé sous silence. Bien joué, car depuis son vol en 2004, le musée national d’Oslo ne le prête plus… — L.C.-L. — Edvard Munch — L’Oeil moderne au centre Georges Pompidou du 21 septembre au 9 janvier 2012.
Xavier Veilhan — Orchestra •••
Certaines expositions ont des allures de prise de position. Et, avec Orchestra, Xavier Veilhan explore cette modalité dans les règles de l’art. Un sursaut de l’intérieur et un décalage du centre gravité permettent à l’artiste de retrouver ici une formidable fragilité pour donner à cette nouvelle symphonie de Veilhan des allures de chef-d’œuvre tranquille. — G.B. — Xavier Veilhan — Orchestra à la galerie Emmanuel Perrotin du 10 septembre au 12 novembre.
Mircea Cantor — More Cheeks Than Slaps •••
Mircea Cantor habite avec l’élégance des humbles un espace d’exposition qui donne toute son amplitude à cette œuvre d’une douceur et d’une profondeur rares. Jouant avec les codes de la contestation, l’artiste déploie dans More Cheeks Than Slaps un dispositif qui fait de la forme le pivot radical de toute son entreprise et creuse subtilement son sillon dans les esprits. — G.B. — Mircea Cantor — More Cheeks Than Slaps au Crédac du 16 septembre au 18 décembre.
Thomas Hirschhorn — Equality Float •••
Prisonnier de l’imposant bâtiment des Douanes, le char imaginé par Thomas Hirschhorn en écho aux défilés espagnols de la ville de Vigo stationne, immobile mais loin d’être muet. Entre les deux gigantesques mains sculptées, perdues sous les méandres des formes prolixes de l’artiste et le texte de Marcus Steinweg, Equality Float expose invite à une parade statique, encourageant le spectateur à naviguer autour de cette arche de l’égalité remplie d’idées. Et si le plafond assez bas semble à première vue écraser la pièce, la débauche de formes apparaît d’autant plus forte, luttant contre le confinement pour imposer l’urgence de son expansion au-delà des murs. — G.B. — Thomas Hirschhorn — Equality Float à la galerie Chantal Crousel du 22 septembre au 25 novembre.
Jeune Création 2011 ••
Après le renouveau du Salon de Montrouge, qui a acquis ces dernières années une qualité indéniable, Jeune Création poursuit le sillon tracé en matière d’artistes émergents et propose, lui aussi, un parcours qui se bonifie avec le temps. Avec cette édition, Jeune Création s’affirme à n’en pas douter comme un moment fort du calendrier de l’art contemporain à Paris. L’espace du 104, plus complexe qu’il n’y paraît, est enfin utilisé avec intelligence et permet aux pièces de dialoguer entre elles. Extrêmement bien agencé, il offre une très belle entrée dans ces œuvres polymorphes qui l’habitent généreusement. Pas de complexe, ce panorama de la jeune génération utilise la diversité avec parcimonie, ne virant jamais à la profusion. Et les artistes eux-mêmes, par touches délicates et subtiles, entrent dans leur sujet avec une belle énergie. — G.B. — Jeune Création au 104 du 06 au 13 novembre 2011.
Baselitz sculpteur ••
Monumentales têtes de bois balafrées, d’un jaune menaçant et colérique ; bustes imposants aux veines de bois encore saillantes… Les figures sculptées de Baselitz, débitées à même le bois, parviennent par projection à mettre à nu leur créateur. Le démiurge allemand dont la création sculpturale n’avait jamais été exposée dans son intégralité en France, parsème avec élégance le MaM de ses totems contemporains. On s’attardera sur la magnifique série Femmes de Dresde (1989-1990) dont la mise en espace est saisissante. Somme de matière brute, l’exposition habille d’un regard neuf le travail d’un artiste qu’on associe plus volontiers au pinceau qu’à la tronçonneuse. — L.C.-L. — Baselitz sculpteur au musée d’Art moderne du 30 septembre au 29 janvier 2012.
Metropolis •
Comment la Cinémathèque a-t-elle réussi à gommer à ce point toute verve expressionniste ? À désincarner le génie de Fritz Lang au fil de salles exiguës où le visiteur a le choix entre gêner ses voisins ou être gêné ? Scolaire et trop historique, le parcours est en définitive lassant. Finalement, le visiteur pourrait presque faire l’économie de la lecture pesante et profiter des 52 minutes de l’excellent documentaire projeté en milieu de parcours (Voyage à Metropolis d’Artem Demenok). Il en apprendra tout autant et revivra tout aussi bien l’épopée des mythiques bobines. Car aucune fièvre, malheureusement, n’habite la narration, manquant l’hommage au film pourtant véritable figure de rescapé ; bide intégral lors de sa sortie en 1927, retrouvé en Argentine dans sa version complète en 2008 seulement, survivant du nazisme… Projeté ici par bribes, proche du montage désiré par Lang, le film pourrait émouvoir aux larmes, fendre le cœur. Mais il n’en est rien, l’exposition est bien trop muette pour le permettre. De la science, certainement, mais sûrement pas de la science-fiction. — L.C.-L. — Metropolis à la Cinémathèque française du 19 octobre au 29 janvier 2012.