Violaine Lochu — Galerie Dohyang Lee
La galerie Dohyang Lee présente une très belle exposition de Violaine Lochu qui plonge une fois de plus au cœur de son histoire intime pour mettre en forme des variations plastiques autour du manque et de la perte.
En assumant le parallélisme avec sa propre vie, inscrivant l’année de sa naissance au frontispice du projet, Violaine Lochu puise dans des répertoires variés, de l’installation à la vidéo en passant par le collage pour ouvrir la voie la plus claire de son œuvre à ceux qui ne sont pas là, ses autres comme les nôtres. Pour mieux en emmêler les voix.
« Violaine Lochu — 1987 », Galerie Dohyang Lee du 11 mars au 15 avril 2023. En savoir plus Les lettres défilent et s’écoulent, attirées par le sol, surmontées tantôt de couleurs dans ses installations et de photographies dans ses collages. Ainsi disposées à la verticale dans des structures qui font corps et et peuvent être activées au sein d’une performance (O Child, 2023). Cette présence flottante, en attente, renvoyant par son titre à une complainte installe une ambiguïté initiale qui convoque l’être autant qu’elle acte son absence. Volontairement ouverte, sa lecture renvoie chacun à sa condition, à ses désirs comme à ses manques avec pour fil conducteur la sensibilité plus que l’intelligibilité figée. Dans l’écriture verticale parcourant l’ensemble des pièces présentées, les phrases semblent en une certaine manière dessiner des indications analogues à celles de sismographes ou tout autre outil de mesure. Plus encore que leur sens individuel, c’est leur dynamique qui est en jeu, chacune représentant un sursaut singulier d’intensité ou d’abandon.Battle, la vidéo présentée au sous-sol met en scène une cérémonie aux allures de rites de disparition. La lutte, au cœur de cette mise en scène imaginée autour de témoignages d’expériences de combat ouvre en effet rapidement son sens à la possibilité d’une réparation. La procession de quatre « guerriers-guérisseurs » au sein d’une chapelle religieuse porte en elle-même cette dualité ; leur costume érige des structures desquelles s’écoulent des bandes calligraphiées, que chaque membre du dispositif vient caresser avant de disposer à porter de main. Celles-ci évoquent autant la gaze qu’on dépose sur les blessures pour les guérir que les bandelettes qu’on applique aux morts dans des rites funéraires, pour emprisonner en leur sein l’unité du corps en fin de vie. Sur un bout de papier est inscrit un message qui une fois enroulé, est inséré au cœur d’une pâte comestible roulée en boule puis colorée et ensuite ingérée par chacun des quatre personnages.
Le son, très important, n’est constitué que de souffle et d’une pluralité de voix prononçant des paroles indistinctes, jouées à l’envers. Les marques de l’encre bleue dégoulinant de leurs lèvres sur leur corps presque nus font taire les échos qui émaillaient la cérémonie. À leur tour alors de prononcer des mots, intelligibles cette fois, qui semblent faire récollection de souvenirs de guerre et de trauma, évoquant l’Algérie, l’Allemagne, des récits qui font se croiser des contextes de drames intimes et historiques. Les gestes qui s’ensuivent, chorégraphiés et symboliques, font travailler les mains des acteurs dans autant de symboles du toucher, de l’appréhension du vide et de la réunion. Intangible et surtout pas quantifiable, le processus fait alors office de projection, esquissant pour chacun la possibilité d’inventer un rituel pour décliner l’existence du traumatisme, l’acter en une manifestation dépouillée de sa temporalité initiale pour lui imposer celle, propre à notre volonté, de la cérémonie.
En cela, Lochu donne à voir en acte la valeur infinie des rites humains, bravant le temps et l’espace de la sensation pour l’engager dans une causalité nouvelle et appliquer sur celle-ci le calque de son imitation jusqu’à produire un amas de souvenirs qui peuvent, eux, s’attaquer à ses stigmates.
Si elles agissent ainsi comme une stratégie de la réparation pour l’artiste, ces pièces sont d’abord une possibilité d’ancrage, un point d’empathie ouvert à l’imaginaire du spectateur qui, confronté à cette réorganisation du vide destructeur, perçoit le mirage d’une affirmation d’horizons possibles.
Pour aller plus loin
Lire notre critique de l’exposition Violaine Lochu, Modular K