Degas et le nu au musée d’Orsay
« Degas et le nu », Musée d’Orsay du 13 mars au 1 juillet 2012.
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Une métamorphose spectaculaire s’opère sous nos yeux à mesure que Degas plonge le nu dans la modernité. Il est en effet le premier à jeter les bases du renouvellement de ce genre classique par excellence, inspirant au passage Bonnard et Picasso. Et si cette primeur lui revient tout naturellement, c’est qu’il pensa différemment le nu. Est « nu » ce qui n’est plus habillé, une lapalissade qui résumerait bien ce basculement conceptuel. Très vite, Degas comprend qu’il faut, pour les saisir, déshabiller des modèles de chair et d’os et non se contenter d’avoir sous les yeux de canoniques statues. De ce passage à la vie naîtront les veines visionnaires de l’artiste, effaçant habilement l’académisme et l’idéalisation des corps et se parant même au détour d’un certain érotisme. Pourquoi les idéaliser du reste ? Sa série sur les maisons closes au tournant des années 1870 y répond clairement par le choix d’un traitement naturaliste, où ses filles de joie inspirent la compassion, et non l’admiration. Émouvante charnière illustrée par de nombreux monotypes, procédés d’estampe sans gravure, jamais exposés de son vivant. C’est dans la matière, l’encre brossée, essuyée par des chiffons, que Degas travaille au corps ses sujets, les saisit dans le mouvement en floutant les contours, l’une sortant de la bai-
gnoire, l’autre se dirigeant vers le « tub » (bassine qui préservait les prostituées des maladies vénériennes). De ses clairs-obscurs revisités par le XIXème siècle et l’acuité du contemporain, Degas signe l’ancêtre du reportage et semble « sur le terrain ». Pourtant, il ne se risquera pas à exhiber son travail, ayant l’intuition ou la conscience de vivre dans une société encore trop conformiste, choquée quelques années plus tard par la toile de Manet qui osera dénuder une fille légère au premier plan du Déjeuner sur l’herbe, aux côtés de jeunes hommes vêtus, eux, de pied en cap. Degas choisira, lui, de garder dans l’intimité ces splendeurs dont la couleur du secret éveille aujourd’hui une excitation d’un autre temps.