Magritte — Centre Pompidou
Avec La Trahison des images, le Centre Pompidou propose une exposition événement autour de Magritte qui engage une lecture renouvelée de l’œuvre de cette figure majeure du XXe siècle. Un pari radical dont on perçoit pourtant les limites mais que la profusion et la qualité des œuvres rend incontournable.
Magritte @ Centre Georges Pompidou from September 21, 2016 to January 23, 2017. Learn more La postérité est matière à injustice. La célébrité de certaines images, de certaines œuvres dessine bien souvent le brouillard épais qui voile l’infinie complexité de démarches prolifiques. Combien faudra-t-il de pipes pour que la profondeur de ce penseur et poète de la peinture soit enfin reconnue à sa juste valeur ? Beaucoup sans doute. C’est précisément ce voile que tente de soulever le centre Pompidou en proposant une rétrospective clairement pensée pour offrir une plongée intensive dans l’œuvre de cet artiste fascinant, aussi tapageur que fidèle à ses véritables amours, aussi fasciné par la peinture qu’écœuré par ce qu’elle porte en elle de plus conventionnel. Une ambition portée par le titre même de l’exposition, La Trahison des images, qui vient témoigner de la trace ambiguë du peintre dans l’histoire de l’art tout autant qu’elle évoque son tableau le plus célèbre.En choisissant ainsi de se confronter directement au désormais canonique Ceci n’est pas une pipe, la rétrospective, si elle s’accorde avec la réception la plus large de son œuvre, ne manque pourtant pas de faire un pas de côté et de s’attacher à en offrir une lecture osée qui risque de ne pas faire l’unanimité, voire de dérouter. Ouvrant son parcours sur cette œuvre, l’exposition s’achève sur Ceci continue de ne pas être une pipe, une ambition claire d’offrir un cadre conceptuel englobant à lecture du corpus de René Magritte. Loin donc d’en offrir une vision radicalement nouvelle, elle plonge de plain-pied dans l’image d’Epinal d’un peintre pourtant résolument pluriel. Portrait singulier d’une époque, Magritte traverse la première moitié du XXe siècle en goûtant ses joies, ses avancées et tous ses questionnements. Sa peinture en finit avec le mutisme bon teint d’une supposée beauté, l’artiste crée de l’image et en force la lecture ; l’art n’a plus rien à faire de la décoration et chacune de ses compositions s’offre autant qu’elle résiste à la pensée, fenêtre ouverte sur un imaginaire aussi raide que plastique.
Dans le texte « Ceci n’est pas une pipe », présenté à juste titre aux prémisses du parcours, Michel Foucault ouvre son analyse en comparant le trait de Magritte à celui d’un écolier recopiant fidèlement la trace sur son cahier. S’ensuit une analyse logique qui confine au vertige tant la simultanéité du contenu de sens, du symbole et du dessin laisse émerger de perspectives à qui s’y confronte. Un paradoxe idéal pour évoquer la belle simplicité et la complexité retorse de l’œuvre de Magritte où la pensée la plus profonde côtoie la magie d’une poétique qu’il invente, ou bien plutôt qu’il tente de faire émerger « dans le familier ». Ses associations, ses combinaisons d’images sont autant de mises à l’épreuve du goût, un choc esthétique tout autant qu’une esthétique du choc qui traversera son œuvre sous plusieurs modalités, allant jusqu’à heurter délibérément la représentation même avec sa fameuse période vache, qu’évoque également l’exposition, ce plaisir délicieux et coupable d’une peinture du laid. Pourtant, Magritte, dans ses expérimentations, ses recherches aux limites du réel et du représentable, ne perd jamais de vue la force poétique d’un art de la création. « Lorsque nous rencontrons une image de l’inconnu, évoque-a-t-il en parlant de sa peinture, nous pouvons croire être dépaysés mais, en fait, je crois que nous sommes repaysés, nous sommes là où nous désirons être. » Ce pays, cette familiarité, c’est celle qui, à travers son vocabulaire esthétique, cette peinture pure, brillante, parcourant les crêtes de l’hyperréalisme et de la simplicité, fractionne la temporalité de notre regard, impose une confrontation dramatique avec les objets, avec un monde pétri de simultanéités impossibles auxquelles ses œuvres donnent vie. Face à au spectacle de la possibilité de l’impossible, nous sommes « repaysés ». Un puits sans fond se dessine, on se perd, on se raccroche et on se retrouve finalement dans un corpus d’œuvre sur aussi limpide que labyrinthique, aussi impertinent que formidablement touchant.
Et c’est probablement cette dimension qu’échoue à faire vivre La Trahison des images. L’exposition, d’une audacieuse sobriété, fait figure de pari audacieux pour le centre Pompidou qui ne cède en rien aux sirènes de la facilité et propose au contraire une expérience singulière et presque radicale. Cette austérité, séduisante au premier abord et d’une certaine manière assez en accord avec certains traits du personnage montre tout de même rapidement ses limites. La succession atone des œuvres prive la peinture de Magritte d’exprimer sa folle audace ou, à tout le moins, sa vibrante drôlerie. Apposant à l’amorce de chaque salle un extrait de texte classique sans pour autant plonger plus avant dans l’analyse ou l’explication, la répartition des œuvres dans l’espace semble abrupte et échoue en quelque sorte à justifier cette volonté pourtant nette et louable d’appréhender Magritte au-delà de la seule catégorie surréaliste qui lui colle à la peau. Sans respiration, sans écart et sans accroc, la succession uniforme appuie le sérieux et contribue certes à développer l’image d’un peintre de la pensée chère aux commissaires de l’exposition mais ne souligne malheureusement pas la part d’absurde, la part de poésie et tout simplement le plaisir de la peinture, heureusement bien visible face à toutes ces œuvres.
Malgré toutes les réserves en effet, impossible de ne pas rester admiratif devant le choix pertinent de tous les tableaux, offrant une sélection ample et de très haute tenue qui fait honneur à ce peintre qui continue donc à nourrir d’infinies attentes. Ce n’est ainsi pas la moindre des réussites de cette exposition radicale que de parvenir à faire vivre le débat.