Clédat & Petitpierre — La Villette, Paris
Le duo Clédat & Petitpierre présente à La Villette un spectacle pour tous les publics riche en émotions qui brasse des notions historiques dans un ballet touchant où les relations brouillent les pistes. Autour d’un mythe de Saint-Antoine transfiguré, Clédat & Petitpierre s’emparent des codes et de l’histoire de la représentation pour offrir une envolée onirique accessible et ouverte.
Le duo poursuit, dans Ermitologie, son travail sur la forme où le corps, masse en mouvement recouverte de costumes amples, semble l’objet de forces extérieures, résistant ou se laissant porter par elles , exprimant par ses gestes la détresse ou la force. Car une fois de plus, leurs personnages sont privés de regards et communiquent à travers le mouvement, une constante chez le duo qui présentait, lors de l’exposition La Force de l’art 02 au Grand Palais, une performance (Les Aubes sont navrantes, 2009) qui voyait deux êtres humanoïdes évoluant à quatre pattes, cachés sous un costume de fourrure épaisse, lutter contre une tempête de vent déchaînée. Sans un mot, le corps transmettait ici toute l’émotion par son mouvement, sa lutte et sa fuite, de la détresse à la quiétude.
Dans Ermitologie, la violence des éléments est encore une fois prédominante avec un orage déchaîné qui ouvre le spectacle et diffuse ses lumières bigarrées sur le dispositif. Quatre entités plus que personnages, l’homme de Giacometti, la Vénus dite de Willendorf, un buisson-boule et un oiseau-lapin énigmatique se meuvent autour d’un rocher-volcan au dessus duquel une maquette de paysage situe un lieu imaginaire, entre Eden et enfer. Dans ce maelstrom de références artistiques, le mouvement et le dialogue se font par touches, la narration silencieuse joue de l’affect plus que du théorique et offre une relation concrète, sensible et sensuelle entre les courants artistiques. Pièces d’un même grand échiquier de l’histoire de l’art qui, jusque sur son plateau, évoque la fameuse grille qui a traversé elle aussi les siècles, les liens se tissent entre préhistoire, antiquité, expressionnisme et modernisme avec l’intégration de technologies contemporaines.
Acteurs et robots se partagent ainsi la scène, entremêlant les éléments pour perturber la perception ; l’organique opère des mouvements mécaniques et la stabilité, la linéarité se confrontent à l’aléatoire et à la complexité des organes. Cette mise à égalité interroge à son tour avec une répartition constante des rôles ; les corps s’attirent, s’ébattent, se confrontent et s’enlacent avec une liberté assumée.
Le temps s’étire et les saisons passent. L’événement, ici fait lieu et marque autant que le fil conducteur de La Tentation de Saint-Antoine et les suppliques d’une voix chuchotée qui font de chaque interaction, à rebours de la luxure coupable, une marque du désir, désir de faire, de créer, d’échanger et partager face à la réclusion inféconde. Une relecture jouissive d’un mythe qui se voit ici la clé de compréhension d’une histoire possible de la rencontre et de l’attachement.
En ce sens, Ermitologie propose un tableau animé qui laisse place à l’interprétation et où le mouvement, tantôt pesé et contraint, tantôt libre et voluptueux, fouille les possibilités du corps autant que du récit, tout en offrant une respiration haletante à la tradition de la représentation scénique.