Entretien — Michel Blazy
Sculpteur de l’éphémère, Michel Blazy investit jusqu’au 15 juillet l’ancienne sacristie du Collège des Bernardins avec une installation faite de mousse intitulée Bouquet final. L’occasion de rencontrer cet artiste qui anoblit depuis plusieurs décennies des matériaux humbles comme la purée de carottes ou les yaourts. Ici, c’est au tour du bain moussant de rejouer le miracle de la vie et de son mouvement. Rencontre.
Léa Chauvel-Lévy : Comment est né votre projet ?
« Michel Blazy — Bouquet final », Collège des Bernardins du 10 mai au 15 juillet 2012. En savoir plus Michel Blazy : Lorsque j’ai reçu l’invitation d’Alain Berland 1, j’ai réfléchi à ce lieu froid aux murs épais. Rapidement, j’ai compris que je voulais le confronter à la légèreté. Comme je travaille depuis une dizaine d’années sur la mousse, je poursuis naturellement ce travail ici. C’est d’ailleurs ma plus grande pièce en mousse.Il fait froid dans cette sacristie, vouliez-vous y opposer la chaleur des salles de bain ?
C’est une interprétation possible… C’est vrai que j’utilise du bain moussant et que cela tranche nettement avec ce lieu silencieux, isolé et frais. Je suis intéressé par les déplacements d’odeurs et de matières d’un espace à un autre. Personne n’identifie rapidement l’odeur du bain moussant dans cette pièce qui impose un respect, un recueillement… C’est ce temps d’interrogation qui m’intéresse.
Pourquoi avoir intitulé votre installation Bouquet final ?
Pour rendre compte du « timing » de l’installation. Elle arrive à son apogée le soir et recommence tous les matins. Si vous venez avant 10h, l’échafaudage et les jardinières sont vides. L’entretien, qui consiste à vérifier les niveaux, orienter les mousses du bon côté prend parfois jusqu’à trois heures. Il faut attendre 15h pour que la mousse soit bien formée, qu’elle ait « poussé ». Le soir, c’est l’apothéose, la mousse est très légère, c’est le bouquet final.
Vous êtes fasciné par le rythme circadien, la nuit puis le jour…
Mon installation se cale sur cette alternance en effet, elle est éphémère et renouvelée, elle possède son propre cycle. Sa durée de vie est d’une journée.
Quelle image vouliez-vous offrir au public lorsqu’il entre dans la sacristie ?
Je voulais mettre en présence le spectateur avec une matière qui le domine. C’est Dieu, c’est un monstre. Chacun y verra ce qu’il voudra. Cette mousse qui tombe sur le sol évoque pour moi en tout cas un être mystérieux et imposant.
Est-ce selon vous une sculpture ?
Oui, même si la mousse ne résiste pas au temps, elle a une forme. Et puis, j’utilise comme pour la sculpture classique les mêmes propriétés de la matière.
Que cherchez-vous dans les effets de la mousse ?
Cela m’évoque la croissance des plantes dont les mouvements sont eux-aussi imperceptibles. J’aime que les gens mettent du temps à réaliser que c’est une matière mouvante… Au début, le regardeur est face à une œuvre qu’il croit statique, et puis s’il est attentif, elle se met à bouger, de manière infime. Les bulles scintillent et éclatent délicatement. C’est le mystère de la vie qui se joue là. Le vivant redéployé en quelque sorte. L’aspect sauvage des choses me fascine, redonner au bain moussant sa liberté, le déconditionner de son environnement industriel…
Vous utilisez aussi des tomates dans certaines de vos installations, récemment vous avez étalé 600 kilos de tomates sur les murs, quelle envie aviez-vous ?
À Montpellier (Exposition Excroissance 2, ndlr), j’explore la notion de moisissure. L’odeur y est tellement forte qu’il faut même porter un masque. Le coulis de tomate mis en boîte est le résultat de notre maîtrise, de notre progrès. J’aime que les produits manufacturés échappent à ce statut. Lorsque l’on ne conserve pas bien la sauce tomate, comme on le voit dans mon exposition, cela produit des effets inquiétants. J’aime faire en sorte que ces aliments retrouvent un cycle naturel et gratuit. Mais, je précise qu’il n’y a pas là de discours politique !
1 Chargé des Arts plastiques au Collège des Bernardins et du cycle “Questions d’artistes”.