Kate MccGwire — Galerie Les filles du calvaire
La galerie Les filles du calvaire abrite près de vingt œuvres, pour la majorité produites en 2021 et 2022, de l’artiste anglaise (née en 1964) qui a fait des plumes d’oiseaux la matière première de ses sculptures et pièces murales majestueuses.
Nous voilà otages d’une pulsion contradictoire : un désir de s’approcher d’elles se heurte à un mouvement de recul, instinctif. Les œuvres elles-mêmes sont doubles : dessus et dessous, inerte et mouvante, morte et vivante. Kate MccGwire nous invite à un charme sournois, qui nous capte, nous berce mais couve une trahison. Le sentiment de sécurité né de leur beauté devient inquiétant, comme la rivière tranquille qui tout à coup s’emporte. On se laisse volontiers aller à cette ruse séduisante.
Cet étrange ensorcellement est probablement celui que vit Kate MccGwire elle-même au cours de son processus de création, proche de la méditation. Une fois les plumes réunies, elle les examine, les classe — par taille, forme et couleur — et les nettoie délicatement avant de les disposer, une à une, sur une structure dont la composition est maintenue secrète. En fin de compte, chaque plume contribue à l’ensemble. Les plumes utilisées lui sont transmises par des éleveurs d’oiseaux qui les collectent pour elle. D’une mue naturelle, l’artiste poursuit la métamorphose par des gestes méticuleux et un procédé d’accumulation.
Courant, marée, vagues… Le champ lexical de l’eau vient à l’esprit quand on contemple les œuvres de Kate MccGwire. Il s’agit pour l’artiste d’une source d’inspiration centrale. Depuis l’enfance, qu’elle a passée dans les paysages humides du comté de Norfolk en Angleterre, elle observe avec attention la nature et les animaux au bord des eaux. Lorsqu’elle obtient son diplôme de sculpture au Royal College of Art en 2004 — à l’âge de 40 ans –, elle installe son atelier dans une péniche amarrée sur la Tamise, dans le sud-ouest de Londres, où elle continue aujourd’hui, à l’occasion de ses baignades et promenades quotidiennes, d’observer la vie de l’eau, ses cycles et ses motifs, parfois perturbée par l’intervention humaine qui interrompt ou détourne son écoulement.
C’est pourtant au cœur d’une capitale, dans le troisième arrondissement de Paris, que ses sculptures résident en ce début de printemps. Alors que Kate MccGwire a souvent exposé dans des lieux anciens, son œuvre organique dialogue ici avec une architecture moderne, brute et lumineuse — la galerie Les filles du calvaire prenant place dans un bâtiment industriel de 300 m2 sur deux niveaux. La lumière naturelle est un judicieux partenaire de jeu pour les créations de l’artiste : les rayons de soleil qui transpercent la verrière révèlent les abondantes variations de couleurs des plumes, différentes selon les spécimens d’oiseaux (pie, oie, coq, faisan, corbeau, pigeon).
Le lieu, avec ses murs, sols et plafonds d’un blanc éblouissant, offre aux sculptures de Kate MccGwire un écrin nouveau, presque aseptisé, si bien que l’exposition est moins proche du cabinet de curiosité que du laboratoire scientifique. Ces créatures endormies, séquestrées dans des prisons de verre et de métal, détonnent, débordent, semblent pouvoir s’échapper à tout instant, nous montrer leurs têtes, leurs griffes et leur rage de vivre libre — vivre avec le contre-courant, « undertow » qui donne son titre de l’exposition.
Il suffirait qu’elles trouvent, à l’intérieur d’elles-mêmes, les chemins souterrains et cavités ondoyantes. Et si ces formes, entrelacées comme des boas affectueux, étaient plutôt des entrailles élégantes, boyaux et vaisseaux vêtus de leur plus belle parure ? Finalement les œuvres de Kate MccGwire prennent aussi racine dans l’obscurité de la terre. Les dessins de la série Vermiculus datant de 2016, convoqués ici, éclairent cette dimension charnelle de l’exposition : des asticots, recouverts de graphite, ont tracé de fines ramifications rampant depuis le centre vers l’extérieur.
L’exposition Undertow témoigne de la rencontre poétique entre la création de Kate MccGwire et la galerie Les filles du calvaire où les formes de l’artiste ont trouvé une terre pour grandir, muter, vivre, jusqu’à la prochaine escale.