À mains nues — Le MAC VAL, Vitry-sur-Seine
Le MAC VAL dessine à l’intérieur de sa collection permanente un nouveau parcours qui offre une plongée sensible, cohérente et pertinente dans un corpus d’œuvres tournées vers le corps.
« À mains nues », MAC VAL Musée d'art contemporain du Val-de-Marne du 9 janvier au 30 décembre 2022. En savoir plus La polysémie de l’expression qui lui donne son titre rythme cette mise en scène de créations multiformes qui « œuvrent » à leur tour à perturber notre champ visuel comme notre regard sur les conditions d’apparition sociales de l’image. Toutes résonnent ici avec une belle synergie qui les inscrit dans un parcours qui conjugue fragilité et force où le réalisme du trait de figurations se voit perclus des stigmates romantiques du regard troublé, de la beauté troublante d’une peau rendue par la couleur. Les corps agissent, jamais passifs, ils s’affirment lorsqu’ils sont parés d’ornements, les organes sont prolongés, transformés et armés pour mieux se défendre, les corps augmentés avec les moyens du bord deviennent prétextes à nouvelles expériences, de nouveaux sentiments.Des chaussures à ressorts de Pierre Ardouvin au corps harnaché et propulsé dans les nuages d’Abraham Poincheval, des femmes mondes de Natacha Lesueur aux « accessoires » immortalisés dans la peinture de Jean-Luc Verna en passant par l’augmentation de notre propre corps par le dispositif de réalité virtuel de Subodh Gupta, les outils se mèlent à l’essence pour définir de nouvelles possibilités d’être.
« À mains nues » file alors la métaphore d’une résistance face aux normes avec l’outil à portée de la main, avec la propension de l’être humain à s’emparer de l’objet pour perséverer dans son être ; l’homo abilis se fait humain habilité à user des éléments du monde pour y inscrire sa réalité. Délaissant sa volonté de s’en faire maître pour épouser plus fondamentalement son cours, il s’agit de devenir apte à l’habiter, tout simplement, aux côtés d’un soi attendu par les autres.
Une prolongation de l’onirisme grave à l’œuvre dans un autre pan de l’exposition ancré, lui, dans le geste « ancestral » et « premier » de la peinture qui dresse face au monde une infinité de miroirs qui s’avèrent, chacun, tout aussi pertinents. « À mains nues », c’est aussi, à bras-le-corps, une confrontation avec la création, avec l’expression à travers le geste le plus simple, sans autre médiation que son corps. L’image trouble, inventée, d’autant moins fantaisiste qu’elle est rééllement fantasmée brouille alors les frontières de la « réalité », de la normalité pour dessiner des mondes dont la tonalité se devine, se propage par un sentiment de couleurs, de lignes, de figures qui nous invitent à un voyage minimaliste et pourtant essentiel.
Le déplacement ne demande dans cette exposition autre chose que l’attention, les chimères s’invitent directement dans notre imaginaire, à l’image des superbes peintures de Valérie Favre, des intimités troublées d’apparitions animales d’Edi Dubien, de la création graphique comme attrape-sentiments de Laure Prouvost, des regards fardés et définitivement évadés des portraits de Jean-Luc Blanc. Au milieu de cette vérité intensément affective, nourrie de rêves et de cauchemars, Melik Ohanian fait déborder le champ de la figuration en multipliant les plans fixes sur des mains qui s’agitent, entremêlant la familiarité de l’organe à l’étrangeté de sa fixation et de sa démultiplication.
La main « nue », ce qu’elle est par définition, n’a plus rien de la tautologie et s’impose comme l’outil essentiel d’une création aux possibilités infinies. De la sorte s’élabore un dialogue inattendu et fructueux dès l’entrée du parcours entre l’œuvre de Mimosa Echard et le bel hommage rendu à Annette Messager où le travail de la main, la « manière » d’ajouter et de disperser les éléments se fait sensible, comme on parsèmerait des contrepoints de lecture perturbant subtilement l’horizon.
Le MAC VAL parvient ainsi, une fois de plus, à proposer un parcours aussi sensible, aussi riche qu’éminemment ancré dans les problématiques de son temps en entremêlant précisément les temporalités mais plus encore les médiums et approches pour faire résonner des problématiques qui, non pas seulement semblables, partagent une communauté d’enjeux qui en réactivent la valeur.