Albert Oehlen — Galerie Max Hetzler
D’emblée, le jaune éblouissant des fonds sur albumine happe la lumière pour faire de chaque tableau un espace indépendant que son voisin vient faire résonner. Une économie de moyens qui rappelle la forme de jeu constante dans le travail de l’artiste, un écho aux contraintes qu’il s’impose lui-même dans sa pratique picturale. Cette brillance témoigne d’un appétit de la matière et les reflets qu’elle engage sont passionnants, poussant la peinture vers un support, un signe urbain. Précisément les formes qui en découlent ne font pas sens mais progressent, leurs angles se répondent et dialoguent dans l’érosion des couleurs. Les points d’équilibre sont ténus et accentuent la force brute de ces assemblages de lignes qui renvoient la figure de l’arbre, à l’érection, hors des racines, du monument végétal. Dans cette forêt d’un jaune électrique, les arbres sont des spectres intrigants liés aux formes de souvenirs, aux racines secrètes d’événements intimes.
Mais plus encore, il appose, aux côtés de ses compositions abstraites, des titres précis qui renvoient à des états d’âme, des histoires intimes (Celebrate our Struggle, Bam Bam, How You Keep a Dance, etc.), qui tranchent avec le nom de la série, presque programmatique : « Sexe, religion, politique ». Comme un pied-de-nez à une époque perdue dans les débats de postures qui oublient que la réflexion part de l’invention, par des biais nouveaux, d’un regard sur le monde et sa rencontre effective avec les événements, cette série joue de la légèreté et de la gravité. Plaçant son catalogue sous l’égide de commandements absurdes : « Ne pas peindre à quatre pattes, ne pas sucer de la peinture (…) », Oehlen désintègre la lourdeur du concept sous le bonheur de l’acte, aussi peu lisible soit-il. Une mise à niveau qui ancre son œuvre dans son temps, de la même manière que l’allégorie, à travers sa vision mythologique et mystique œuvrait à dessiner les concepts. Ici, les souvenirs, observations et événements évoqués dans les titres se voient esquissés par des traces, des lignes qui, pour arbitraires qu’elles peuvent sembler, rejoignent une forme d’expressivité fugace reliant secrètement le geste à l’imaginaire, la restitution au souvenir.
Comme à son habitude donc, mais légèrement décalé, car le style d’Albert Oehlen s’est épuré. Ici, aucun labyrinthe nous happe et nous projette, de technique en matière, de motif en couleur vers chaque recoin de la toile. Comme si la cible se recentrait, comme si le travail du regard consistait à plonger dans la mire, à creuser ces relations de couleurs au cœur de nœuds dégradés. Sa maîtrise des lignes, de l’espace pictural et sa capacité à déjouer la séduction d’une courbe en lui apposant une ligne droite impossible continue de nous perdre avec une force confondante. Au cœur de cette forme aléatoire semble sourdre la persistance d’un art du millimètre, où l’expression se repaît du vide sans jamais jouer la partition de l’inspiration artificielle et du geste grandiloquent. L’expérimentation, le bonheur de la réaction entre les différentes teintes et textures qui démultiplient les zones de tension paraissent tout aussi fondamentales ici.
Cette direction bicéphale encore une fois tangible dans le travail d’Oehlen, qui joue du hiatus entre La domination d’un peintre maître de ses formes et l’émergence d’une vie propre à la peinture que les limites du cadre, en décalage avec leur motif, ne semblent pas contenir mais bien plutôt nourrir.
Le deuxième volet de l’exposition se tient du 13 octobre au 21 décembre à la galerie Gagosian, 4 rue de Ponthieu, 75008 Paris, du mardi au samedi de 11h à 19h