L’objet surréaliste — Galerie Loevenbruck
Parce qu’il s’en nourrit et surtout parce qu’il en réinvente le fil sans jamais s’y fondre, le travail des artistes présentés dans l’exposition L’Objet surréaliste de la galerie Loevenbruck offre une célébration joyeuse, délurée et pertinente du mouvement historique, et peut-être son plus bel hommage contemporain.
« L’Objet surréaliste », Galerie Loevenbruck du 20 septembre au 9 novembre. En savoir plus Car cette présentation partage avec ces grands ancêtres une énergie créatrice qu’aucune loi ou ordre préconçus ne semblent dicter. Nœuds de cerveaux, écoulements automatiques, fétichisation pour rire du fétiche, toutes les œuvres des artistes présentés composent un récit sans mot du toucher, du fantasme et de la fantaisie à la sensibilité extrapolée. En se concentrant sur l’objet et en assumant la menace existentielle qu’il fait peser sur la prééminence du « sujet », le parcours cerne avec une réussite indéniable la question de l’héritage, installant face à un même horizon des regards dont la singularité converge ici avec bonheur. Le bizarre est toujours bizarre même s’il n’est jamais le même, l’organique recèle des mystères auxquels chaque sensibilité peut proposer sa réponse.Dans le détail, dans l’ajout, les idées éclatent et fusent, inattendues. Avec pour meilleur exemple le Shadowshow, Le tombeau de Socrate, tableau renversant de Philippe Mayaux qui multiplie à l’envi les perspectives et inverse les lectures en glissant à travers chaque forme la possibilité d’une autre. De la parabole de Platon bien connue émerge une vision complexe et foisonnante qui lui adjoint une dimension qui la démultiplie ; le renversement de ce qu’elle cache. Le réel, comme de bien entendu, devient un tremplin pour une forme plus achevée d’un réalisme fait de nos fantaisies, de nos sentiments et de nos doutes. La pensée s’y déploie par fragments, pour ne pas dire par étincelles, creusant dans les parois des ouvertures vers des mondes impossible ou laissant germer des êtres d’un autre monde à même ses parois. L’envers et l’endroit se confondent pour engager interprétation de l’histoire (le tombeau du Socrate historique) et la mythologie (la caverne) le mouvement et sa permanence.
Un écho pertinent et touchant avec une installation plus ancienne de l’artiste à la force toujours aussi intense, cabinet de sa propre curiosité à l’égard des formes et des faits qui compile une multitude d’objets abscons au charme pourtant incandescent. Tout y est question de toucher, de projection de soi et des autres à travers une vitrine qui les magnifie autant qu’elle en interdit l’accès direct.
Par le détour alors, quand ce n’est pas le détournement, se dessine une voie d’accès au dialogue avec ces prestigieux ancêtres ; d’où le bonheur ici de tourner la tête de droite et de gauche, de haut en bas et de bas en haut, souvent au sein d’une même œuvre pour se perdre finalement chaque fois dans un ensemble d’envers et d’endroits.
À l’image d’Ashley Hans Scheirl qui offre un toile à l’outrance réjouissante, excrément doré flottant avec majesté au milieu d’une composition à front renversé où l’oeil du peintre se fait acteur d’un jeu aussi préhensible que ménageant une place à l’incompréhensible . L’humain n’est définitivement plus seul au cœur du jeu, dont la forme, abruptement simplifiée, sert de patron à l’éclosion de formes qui le dépassent et dépassent leur cadre. Comme un prétexte, le corps humanoïde constitue dans le Thorsten de Jakob Lena Knebl la prémisse d’une déclinaison qui le réduit à un motif pour précipiter sa perte.
Jusqu’au creux d’une jarre imposante, pensée par Dewar & Gicquel, trônant au sol comme émergent les entrées de puits, lieux de rencontres sociales et de projections imaginaires. Parcourue de boursouflures musculeuses et brillant d’un fabuleux éclat, elle conjugue la préciosité à la rusticité, mêle le corps au végétal pour le ramener à ce qu’il est ; un fragment de matière que le monde s’apprête, à l’image des escargots qui le montent déjà, à coloniser.
Le toucher et l’interdit, deux notions que met en scène Arnaud Labelle-Rojoux qui confronte une sculpture monumentale à ses collages peints. Sur cette Main du Diable s’agrippent et reposent des figurines humanoïdes aux postures contradictoires, de la victoire d’une Judith agrippant ostensiblement la tête qu’elle a fraichement décapitée à une danseuse de revue entourée d’hommes près de se voir précipités vers les abysses, le jeu des regards (quand les personnages en ont) nous mènent vers des perspectives emmêlées. Comme déposées là sur cette main de cadavre exquis, les protagonistes forment une composition libre et dont la règle se vit plus qu’elle ne se suit.
L’organique et le végétal, derrière la cimaise, se déracinent pour évoluer en liberté vers un désir de forme. Car il en va de l’objet comme d’un choix ; celui d’isoler et d’exposer, au regard, ce détail qui va trancher l’ordre des choses pour inventer son propre ordre. Un dialogue là encore fructueux et inattendu entre le tronc chaussé de Chloé Royer, la fleur buccale d’Alina Szapocznikow et la couronne végétale de Virginie Barré. L’ornement et le végétal y communiquent directement, s’associent pour appeler à user du monde comme on use de son inspiration.
Avec un mélange de nécessité, de fidélité à ses artistes et d’opportunité, l’exposition oscille entre travail de fond et spontanéité joyeuse. Un risque et une audace qui entrent en résonnance exquise, là encore, avec les procédés, les combines d’un surréalisme toujours enclin à renverser la fondation. Et les fondamentaux.