Biennale de Venise 2024
Retour sur le parcours de l’exposition principale de la Biennale de Venise 2024 réparti sur les sites de l’Arsenale et des Giardini en mots et en images.
Si le titre de l’exposition présageait d’une vivacité bienvenue, le résultat laisse ainsi quelques regrets. Foreigners Everywhere provient en effet d’une série réalisée par le duo d’artistes Claire Fontaine qui s’est emparé, depuis 2004, de ce slogan d’un collectif turinois luttant contre la xénophobie au début des années 2000 pour en réaliser, en plusieurs langues, une série de néons. Le duo, en lien avec le curateur depuis une quinzaine d’années en proposa ainsi une variation dès 2009 à Sao Paulo, alors qu’Adriano Pedrosa présentait une exposition invitant des artistes étrangers au sein du musée d’art moderne. L’exposition fit scandale. Aujourd’hui, elle fait débat, bien qu’avec un humour assez fin, il justifie ce titre par une forme de générosité, à rebours des titres poétiques et obscurs, il préfère y voir une sorte d’annonce honnête du spectacle que s’apprêtent à voir les visiteurs ; des étrangers partout.
Le concept d’anthropophagie, très présent et important dans la pensée contemporaine brésilienne aurait dû apparaître comme un fonds intellectuel majeur du parcours. Le curateur évoquant sa participation à la biennale de Sao Paulo 1998 et l’importance de l’anthropophagie dans le modernisme brésilien. Rien n’en ressort ici et les espoirs s’effacent au vu de ces agglomérats d’œuvres échappées de tout contexte. C’est que l’exposition se pense précisément comme un brouillon, un essai et une tentative de rendre cette modernité parallèle qui ne prétend pas “réécrire l’histoire” mais “questionner des narratifs établis qui y sont installés”.
C’est peut-être alors comme cela qu’il faut lire le parcours, opposant à la "vérité alternative” devenue absurdement (pour ne pas dire pathologiquement) un concept tangible dans le monde une somme de réalités parallèles passées sous silence, celles qui, à rebours, permettent d’éclairer une vérité qui porte toutes ces lignes à la visibilité. Louable mais loin d’être suffisant. Plus proche pourtant d’un témoignage d’autres vies possibles que preuve d’une alternative à l’histoire de l’art officielle, l’exposition manque son but et viendrait presque avaliser la thèse adverse à ses préoccupations. L’affect et l’irrationnel avaient déjà largement eu leur heure de gloire avec l’édition précédente de la biennale, cette résurgence radicalisée vient perturber l’ensemble et échoue à convaincre.
Si quelques figures émergent avec force, c’est précisément parce qu’elles ne semblent pas se réduire à cette dimension sociale défendue à juste titre par le commissaire et s’en émanciper précisément où l’utiliser pour faire fructifier un art qui se tient, quoiqu’il arrive, seul. À l’image de l’œuvre de Salman Toor, qui aura parqué tant de visiteurs et qui ne bénéficie pourtant d’aucun indice ou notice biographique. Une preuve presque ironique que la force plastique offre une prise qui reste essentielle à l’invention d’un art.
C’est ainsi que les œuvres de Giulia Andreani, Ahmed Umar, Sabelo Mlangeni, Dalton Paula, Bouchra Khalili, Ana Segovia, Etel Adnan, Louis Fratino ou encore Kang Seung Lee (liste quasi-exhaustive), toutes tenues par une recherche plastique exigeante et complexe ressortent avec une force d’autant plus aiguë de cet ensemble qui ne sait s’il met en valeur des parcours de vie, des situations sociales ou des affirmations face au monde.
Et la promesse de rendre justice à l’absence de diffusion de certains artistes, de venir rectifier la “part manquante” d’influence passée se heurte à la difficulté titanesque d’une telle entreprise et la vision que le curateur voit comme une “provocation” souhaitant que “d’autres gens, institutions et universitaires pourraient vouloir déplier ces pistes et les emmener ailleurs” reste une tentative à refaire. Seule consolation donc, malgré le nombre record d’artistes invités, le parcours n’est pas écrasant et laisse passer la fulgurance de ces quelques dizaines d’œuvres majeures qui, délivrées de leur auteur, vivent leur vie et tissent leurs existences à la force de nos regards.