Caroline Monnet, Mobilize — Whitney Biennial, 2019
Présenté à la Whitney Biennial 2019 parmi plusieurs de ses films, Mobilize de Caroline Monnet est une œuvre à part ; courte, fulgurante et d’une efficacité redoutable, cette vidéo propose une synthèse d’un regard singulier capable de réconcilier les visions de l’histoire.
Cinéaste, sculpteur, peintre, Caroline Monnet est pourtant une autodidacte ayant suivi des études de sociologie et de communication. Elle réalise son premier court-métrage en 2009 avant de participer à de nombreux festivals à travers le monde en utilisant des formes multiples qui convoquent sa biographie, issue elle-même d’une double culture franco-algonquine. Artiste complète et polymorphe, son œuvre convoque les imaginaires pour tenter de dépasser les isolements et questionner les pouvoirs de domination en inventant perpétuellement ses propres voies de traverse.
Si sa pratique vidéo passe généralement par la fiction, Mobilize se concentre uniquement sur des images d’archive de documentaires. Symptomatiques du traitement des populations autochtones par un regard extérieur, leurs formes se réduisent bien souvent à un traitement à volonté « objective » qui n’en réduit pas moins ses sujets à une multitude d’actes et de gestes « typiques » qui forment des compilations exotiques et ne laissent que peu de place à l’échange avec des subjectivités qui ont pourtant bien des richesses à partager. À la véritable découverte donc. C’est précisément dans une renversement de perspective que s’inscrit Caroline Monnet avec cette vidéo qu’elle présente pour la première fois au Pavillon aborigène des Pan Am Games de 2015. Réalisée sur invitation de l’Office national du film du Canada, elle agence diverses séquences issues de leurs archives pour en réécrire l’intérêt et manie de ce fait l’histoire pour en souligner la plasticité. Réalisée en quelques semaines, la vidéo porte en elle toute l’urgence et l’intensité de son projet,
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Vibrante et envoûtante, la voix de Tanya Tagaq, chanteuse inuite présente sur la bande-originale, rythme par ses modulations une succession d’actions, de gestes ancestraux montés cette fois avec virtuosité. Caroline Monnet s’approprie les codes de communication moderne pour inventer une mise en scène prenante, libre et sauvage qui décloisonne l’image réalisée à travers l’œil condescendant ou, à tout le moins désengagé d’observateurs extérieurs. Dans cette progression symphonique, la tension initiale laisse place à l’admiration et l’emploi des codes de montage actuels fait de chaque geste un acte de bravoure, vissant sur cette population mal connue un regard analogue et espiègle aux « romans nationaux » tels que la société occidentale moderne (entre autres) est capable d’en produire.
Employant les ressources à disposition dans leur environnement, les hommes fabriquent une embarcation traditionnelle et ingénieuse qui va s’inscrire dans une nature omnipotente à laquelle chaque plan nous ramène, de la persistance de l’eau (un motif récurrent dans son œuvre) à la présence du bois. Dans un espace et un temps qui ne se dévoilent qu’à mesure que la vidéo progresse, le film montre un régulièrement un navigateur se débattant, seul, face aux éléments. Mais cette vie n’est pas autarcique ou régressive, les habitants de ce village que l’on aperçoit vivent avec leur temps, utilisent des machines tout en ménageant une place pour une faune sauvage symbolisée ici par les mouvements d’un loup montés comme une traque. Une coexistence avec la nature dont cette mise en scène pense à nouveaux frais l’urgence, la force et la pertinence.
Un lien inextricable avec le monde contemporain qui pousse au vertige avec la plongée finale dans le Canada des années 1960 où les constructions tutoyant le ciel sont assurées par ces mêmes hommes aux gestes toujours aussi précis, tandis que la silhouette d’une femme moderne progresse, d’un pas tranquille dans la ville, comme un aboutissement ou le début d’une grande action à venir, portée par une bande-son immersive et narrative. Cette grande action à venir est peut-être finalement la nôtre, celle confirmant l’appel lancé par sa vidéo, une véritable invitation à se mobiliser à son tour pour entrevoir, à nos échelles respectives, la possibilité de mises en commun d’actes concrets capables de modifier notre perception du réel.
Plus encore donc que « rendre justice », Mobilize encourage, « mobilise » le faire, les actes, pour à son tour devenir artisan d’une histoire, acteur d’une fierté qui, si elle n’occulte en rien la dénonciation, s’adjuge les moyens de se battre à armes égales avec l’injustice et déploie à son tour un récit fédérateur pour de nouvelles forces à venir.