Une journée avec Marie Vassilieff — MABA, Nogent
L’exposition Une journée avec Marie Vassilieff présentée à la Maison d’Art Bertrand Anthonioz nous invite à célébrer son héritage, revisité par une douzaine d’artistes contemporains.
Dans la première salle, une femme interroge en vidéo : « Qu’est-ce qu’être artiste d’avant-garde ? » En bon prologue, cette question posée par l’artiste Liv Schulman accompagnera le visiteur à mesure qu’il découvrira l’exposition, guidé par les textes de l’écrivaine et théoricienne Émilie Notéris dans cette relecture contemporaine de Marie Vassilieff. Car dès ses débuts, l’intention de l’exposition est claire : mettre en avant la richesse de son œuvre au regard de son impact sur la création contemporaine. Soucieuses de retranscrire la mémoire qui lie l’artiste à la ville de Nogent-sur-Marne, les deux commissaires de l’exposition recréent dans l’espace de la MABA un écrin intime tel qu’elle-même l’aurait imaginé. Photographies, dessins, peintures, sculptures et autres créations hybrides composent alors dans la deuxième salle un cabinet de curiosités, où se glissent parmi ses propres créations des œuvres contemporaines. Derrière les visages étranges de marionnettes immobiles, les bibelots loufoques et assemblages de bric et de broc qui pourvoient cette collection, un fétichisme de l’artiste pour les objets se dessine, animé par un mantra des plus manifestes : exprimer dans l’espace domestique une fusion matérielle et spirituelle de l’art et de la vie. Loin d’enfermer le visiteur dans le silence poussiéreux du grenier, cette mise en scène intègre la ville de Nogent en choisissant d’ouvrir les fenêtres vers sa nature et sa lumière. À la manière des pendillons d’une scène de spectacle, les cloisons accolées aux fenêtres et peintes par Flora Moscovici convoquent alors cette transition du regard vers l’extérieur.
Plus épurée, la salle suivante nous le confirme : Mélanie Bouteloup et Émilie Bouvard nous ouvrent bel et bien les portes du théâtre intérieur de Marie Vassilieff. Aux murs, des dessins et affiches réalisées par l’artiste y rencontrent la fresque en trompe-l’œil de Christian Hidaka dans une symbiose visuelle évidente de l’œuvre et du décor. Une voix appelle le visiteur : celle d’Anne Le Troter, qui par son installation et sa vidéo lui assène l’absurdité répétitive des circuits de communication aujourd’hui. L’esprit de Vassilieff semble toutefois s’évaporer derrière cette proposition percutante, éclipsé par ses réflexions résolument contemporaines. Baptisée Le Vestibule, la salle suivante se concentre alors sur un autre angle de son œuvre : le rapport au corps, que l’artiste explorait à travers sa création de poupées et de costumes de ballets. Pour y répondre, l’Argentine Mercedes Azpilicueta présente trois pièces textiles exposées telles des natures mortes. Au-delà de leurs couleurs pastels et leurs formes ludiques, une réflexion performative sur le mouvement du corps prend vie sur des photographies où ces costumes s’animent. À l’instar de la salle précédente, cette installation prolonge une interrogation : l’héritage de Marie Vassilieff peut-il se mesurer à la radicalité conceptuelle et esthétique de ces propositions contemporaines ? L’œuvre inspirée ne supplanterait-elle pas ici l’œuvre inspirante ?
Le parcours continue, rythmé par des nus esquissés par Marie Vassilieff. Fernand Léger, Georges Braque, Pablo Picasso : les influences cubistes de son entourage parisien y transparaissent comme réminiscences historiques évidentes des débuts de l’art moderne. Mais c’est dans la dernière salle, sans doute, que le dessein de l’exposition semble le plus efficace. Sur un mur, les portraits des sculptures étranges de Vassilieff photographiés jadis par Pierre Delbo se mêlent aux échantillons textiles colorés de la photographe contemporaine Yto Barrada, formant ensemble un curieux trombinoscope d’une inquiétante familiarité. Non loin de là, les céramiques boursouflées de Carlotta Bailly-Borg font écho, en trois dimensions, aux nus de la salle précédente. Sur ces objets « trans-historiques » et « trans-géographiques », puisant aussi bien dans l’Antiquité grecque et sa mythologie que les monstres des estampes japonaises, apparaissent des créatures chimériques qui viennent à leur tour peupler les fables racontées par Marie Vassilieff. Au centre, un rideau coloré fait de caoutchouc et de pigments occulte le fond de la salle. L’artiste vietnamienne Thu Van Tran y signe un clap de fin de l’exposition d’une grande poésie, où le travail de la couleur et de la matière produisent une expérience multisensorielle.
D’une salle à l’autre, l’exposition Une journée avec Marie Vassilieff ne trahit jamais ses ambitions de valoriser l’œuvre à laquelle elle rend hommage. Néanmoins, si la proposition de Mélanie Bouteloup et Emilie Bouvard échappe avec intelligence à l’académisme, elle montre également les limites de sa rencontre avec une création contemporaine remarquable par son éclectisme. Les appendices de l’exposition, trois installations de Laura Lamiel dans la bibliothèque Smith Lesouëf et une vidéo de Michel François à la Maison Nationale des artistes, se font l’exemple éloquent de cette liberté prise avec le sujet dont résulte également un certain éloignement conceptuel. Aussi, de l’hétérogénéité des approches et références choisies par chaque artiste résulte un regroupement touffu où la progression, malgré sa logique explicite, paraît parfois absconse et disparate. Produites pour la plupart en vue de l’exposition, les œuvres contemporaines se heurtent alors par leurs formes, leurs techniques et leurs intentions aux enjeux d’un accrochage dans lequel la production moderne de Vassilieff ne trouve pas toujours sa place.
Nul doute ne sera fait, pour autant, de la pertinence de son œuvre, prouvant dans cette exposition les bénéfices de sa relecture. Car bien qu’ici le rideau s’abaisse, le théâtre de Marie Vassilieff continuera discrètement d’exister, attendant patiemment une nouvelle occasion d’être réactivé.