Chefs-d’œuvres photographiques du MOMA — Jeu de Paume
Didactique et intelligemment mis en scène, le parcours proposé par le Jeu de Paume jusqu’au 13 février 2022 embrasse la visée représentative du médium photographique et souligne sa valeur d’entrée dans la figuration de l’image moderne. Ses limites aussi d’une certaine manière, pour mieux en appeler encore à la réflexion.
La sobriété et l’élégance des couleurs qui composent la mise en scène de ce nouveau parcours au Jeu de Paume imposent d’emblée la marque de sérieux et d’attention nécessaires à une telle présentation, que les risques d’effet rébarbatif menacent. S’il est bien dépendant du fonds visité, l’accrochage offre un carrousel explosif où l’éclat se joue en secret au cœur de chaque proposition. Le titre de l’exposition, annonçant crânement la présence de chefs-d’œuvre n’est pas usurpé et chaque image constitue une proposition de choix et un monde de possibles autant que la synthèse d’une démarche à découvrir d’urgence. La composition, la précision, la surprise sont autant d’éléments invariablement présents dans ces œuvres qui cachent toutes une histoire passionnante.
Dense et réjouissant, ce tour du monde sensible, marqué par les préoccupations de temps qui se croisent où se bousculent, présente au sein de chaque image un écho à la question fondamentale de ce qui mérite d’être montré. Une fois de plus, la photographie, sa pratique et ses créations passionnantes dessinent au sein du Jeu de Paume un ensemble qui met en jeu l’histoire et la philosophie de notre rapport à l’image, devenue une fenêtre-miroir sur le monde et qui continue d’inspirer une réflexion enrichissante sur notre manière d’entendre ses récits.
Techniquement et formellement, la photographie devient au XXe siècle le lieu de l’expérience, le reflet de cette soif de représentations nouvelles qui accompagne la somme de possibilités ouvertes par la captation dynamique et instantanée d’un réel dont l’image, vibrante, va modeler à son tour le visage de cette période. L’exposition permet ainsi de comprendre que recherche formelle et expérimentations possibles par un public élargi d’amateurs se nourrissent et participent d’une esthétique d’un temps qui, comme lui, se démultiplie par dépli.
Les angles obtus, les retours à la tradition et les perspectives tracées dans l’inconnu se heurtent ainsi dans une chorégraphie des regards qui mène au vertige. Même la section des portraits étonne et se meut en un tour d’horizon du rapport intime que ces artisans entretiennent avec leur matériau image, mais plus fondamentalement aussi avec la mise en scène de leur regard, face caméra cette fois, hésitant à mettre en scène cette personnalité qui anime leur œuvre.
Il est passionnant que ce soit alors, dans l’histoire, à travers la photographie que l’on s’attache pour la première fois à simplifier la complexité du réel en en immortalisant le symbole, en créant une légende à travers la minimalisation de l’humain. L’on redécouvre ainsi ces classiques de la photographie armés d’une perspective dense et réflexive sur un moment de création majeur de notre communication. À ce titre la photographie de Kertesz, Les Lunettes et la Pipe de Mondrian (1926) devient un symbole fort qui redéfinit les enjeux d’une photographie définitivement indépendante de toute injonction au mimétisme.
On ne peut que saluer le travail didactique de l’exposition qui, sans outrepasser ses fonctions, revient en acte et en images sur des fondamentaux qui se révèlent bien plus passionnants que prévus. On l’attendant pompeuse et anecdotique, on se retrouve finalement face à une présentation qui a beaucoup de personnalité, certes marquée par son tropisme moderne et forcément légèrement étanche à une contemporanéité trop marquée. Le présent est habilement mis à distance comme pour installer, entre les parenthèses d’une histoire qui coule mais paraît ici suspendue, un moment de création presque sanctuarisé. Une distance également avec le monde, transportant, de fait, une vision nord-occidentale qui, même plurielle, aurait vraiment bénéficié d’une présentation parallèle d’œuvres d’autres continents. L’histoire et les intérêts subjectifs d’une collection ne se refont pas mais un contrepoint aurait probablement fait résonner plus fort encore sa richesse et la multitude d’influences qui la traversent.
Et c’est un peu, au final, ce qui corsète ce sentiment d’écrin sage que l’on peut ressentir, cette tentation de préserver de l’épreuve du temps les épreuves de ces moments qui sont ainsi gravés dans nos mémoires, qui peuplent les livres et manuels d’étudiants de plusieurs générations, installant une exposition comme relique d’un imaginaire à ne pas perturber. Car dans cette compilation du meilleur où chaque image fait résonner un océan d’idées, ce sont évidemment les manques qui sont d’autant plus criants que la somme de propositions semble embrasser le plus large spectre possible.
Que l’on ne s’y trompe pas, la sobriété mise en scène ici lui confère un charme indéniable et ce souci la rendrait presque encore plus actuelle que toute tentaive d’en remettre en question la portée mais, malgré tout, ce charme ne doit pas faire oublier que, là aussi, il s’agit d’une perspective et non d’une histoire objective intouchable du médium. Car il appartient à tous de continuer de le discuter et le plaisir, l’enjeu en sont d’autant plus grands qu’ils se confrontent à un argument d’autorité aussi réussi que celui-ci. Idéal donc pour amener une contre-perspective qu’il aura encouragé.
Catalogue d’exposition, éditions de La Martinière
Le catalogue qui accompagne l’exposition, de toute beauté et d’une intelligence d’impression et de mise en page, constitue à sa suite une Bible visuelle idéale pour tout amateur qui pourra prolonger le plaisir de la confrontation et trace un itinéraire passionnant et durable dans l’art du XXe siècle. Tourné vers le visuel, l’ouvrage recèle cependant une étude très pertinente de Quentin Bajac autour de la « distraction » et du paradoxe d’un réel au service de sa propre échappée. G.B.