Monique Frydman — Galerie Dutko
La galerie Dutko présente jusqu’au 30 octobre une exposition inédite d’œuvres méconnues de l’artiste Monique Frydman, datant des années 1970 où la pratique conceptuelle qu’on lui connaît s’efface pour laisser place à une variation sur le corps qui cherche alors, par la peinture, à exprimer sa liberté.
Avant d’entrer de plain-pied dans un travail d’abstraction qui l’émancipe de toute figuration, Monique Frydman se révèle ici, durant la fin des années 1970, en élève d’un genre, le nu féminin, qu’elle propulse au cœur de terres salutaires éprises que la liberté de son regard renvoie réinvente en même temps qu’elle lui administre du sens. Marquée alors par une pensée féministe qui refuse les injonctions et les stéréotypes perpétuant le modèle de domination masculine, la peinture de Frydman devient un outil d’expression de cette lutte ouvertement revendiquée d’une place à prendre dans le monde de l’art, qui n’en fait alors que très peu aux femmes.
Sous l’égide de pensées émancipatrices des années 1970, son art entre en résistance sans sacrifier son histoire et se condamner à l’amnésie. Les grandes figures de l’histoire émergent par fulgurances ; libre à nous d’y sentir les fantômes de Matisse, de l’expressionnisme allemand, les spectres — encore vivants à l’époque — de Bacon et Freud. Car ce combat pour l’égalité ne perd jamais de vue le front universel qu’elle défie, celui de la représentation, la question de la peinture qui se voit ici mise en jeu à travers des formes singulières, nouvelles et qui participent d’un mouvement global d’une pratique qui, si elle les abandonnera par la suite, ne les dépouille en rien de leur valeur constructive.
Ses variations charnelles laissent en effet apparaître un corps dont la perfection se mesure à l’intensité du rendu de la sensibilité. Tantôt fin et lacéré, tantôt épais et redoublé, le coup de pinceau délimite des formes aiguës qui modèlent la nature d’un corps soumis aux soubresauts de la vie. My Perfect Body c’est donc avant tout la vision par l’artiste d’un corps en train de se réaliser, comme un retour au sens étymologique de la perfection, un moment du temps qui fige le mouvement en cours.
Et, en matière de mouvement, les multiples cambrures, les étirements et tarissements de chair, les organes aux proportions éclatées reflètent une sentimentalité sauvage qui perturbe l’image de notre propre corps. Qui alors de la chair ou de notre perception est l’agent de ce devenir monstrueux ? Dans la frontalité de sa peinture, dans la multitude de techniques comme de matériaux et de tonalités chromatiques, Frydman laisse planer un doute essentiel, plaçant alors la somme de ses représentations au cœur de la frontière entre un corps objet de convoitise du délire et jouet des soubresauts que lui impose le désir.
Aussi libre qu’ancrée dans un mouvement libératoire, ce parcours inédit que propose la galerie Dutko nous jette dans un temps qui n’a en réalité jamais eu fini d’être d’actualité et, si leur écho se fait particulièrement plus virulent dans la réflexion en mouvement contemporaine d’une pensée féministe dont les débats nourrissent la vitalité, traduit avec une éloquence jouissive une urgence continue.
Un oxymore presque, qui poursuit en tous les cas cette bataille qui n’est jamais aussi bien menée que quand elle draine à sa suite un cortège d’inventions qui enrichissent sa complexité et défient encore plus la réduction catégorielle.