Chloé Quenum — Les Bains-Douches, Alençon
À travers un vocabulaire ludique et une mise en espace de la notion même de jeu en ce qu’elle scénographie des chaînes de causalité plus ou moins lisibles (figures perforées dans un matière dont le gabarit se retrouve au sein d’une autre, formes semblant répondre à un processus ordonné et codifié), chaque exposition de Chloé Quenum explore les interactions humaines et dépasse la présentation d’œuvres pour véritablement faire œuvre d’un commun possible et proposer des pistes de communication et d’entendement singulièrement réinventées.
De la même manière alors il nous incombera d’user d’imagination pour tirer à travers tous les sujets de ses peintures les enjeux historiques (l’histoire de l’ananas se confond en Europe avec celle de Christophe Colomb), romantiques (la nature morte) et sensuels (des parties du corps isolées sont représentées en contrepoint aux indices géographiques, aux morceaux de couleurs vives) le fil d’une enquête visuelle réjouissante, où la naïveté n’est qu’un leurre. À travers la forme même qu’elle emprunte, avec ces fenêtres comme autant de trompe-l’œil qui refusent de nous tromper, à travers ce bégaiement du « cadre », l’artiste ajoute au motif de la représentation un « re » du retrait qui éloigne autant qu’il apparaît complice ou filtre de contextualisation de notre vision.
Obstacles ou indices, ces biais ajoutent au sujet représenté une distance qui nous installe dans une forme ludique, nous embrasse directement et fait de nous un acteur face à ces formes immobiles. Pas de dupe pour autant dans ce jeu de regards et retours qui admettent d’emblée la dimension imaginative du regardeur dans l’élaboration de l’histoire que dépeint son art. L’exotisme d’une architecture, la vibration de couleurs irréelles, la prolifération d’une végétation hallucinée sont donc autant de règles dont l’aspect arbitraire s’efface au profit d’un besoin nécessaire de l’autre, d’un désir anthropologique de « faire lien ». De la manière de raconter naît alors « l’avec » de tous les hommes qui se retrouvent, à travers le prisme de l’ananas, chacun d’un côté de son histoire, chacun d’un côté du globe, tour à tour enfiévré par son pouvoir de séduction que menacé par sa rugosité. Chacun sur un bord de l’œil central mais toujours derrière la fenêtre d’un autre.
En s’emparant ainsi de motifs et techniques de diverses origines pour organiser leurs rencontres dans des synthèses qui font sonner leurs correspondances et perturbent leur singularité, Chloé Quenum donne naissance à une esthétique plastique qui fait du minimalisme le vecteur d’un langage prenant précisément appui sur l’espace et les intensités susceptibles de s’y inscrire par la rencontre avec le visiteur.