Claire Chesnier — L’ahah Griset, Paris
Diplômée des Beaux-Arts de Paris en 2011, Claire Chesnier (née en 1986) développe, depuis lors, un œuvre pictural singulier où la variation chromatique et la dilution des tons font figure d’événement dans des compositions qui, privées d’éléments symboliques et de repères familiers, ne participent pas moins d’une narration et d’une histoire de la sensibilité.
Hypnotique, réjouissant, spirituel et pas moins intelligent, le travail de Claire Chesnier allie à une profonde sensibilité une radicalité qui en tisse toute la cohérence. Il y a d’abord un là, un « déjà-là » ; un corps, une feuille, qui, s’ils ne sont n’est pas êtres, font lieu et existent. Forts de la discrétion de l’artiste quant à son processus technique, ils s’offrent même le luxe de s’épargner la question, tout comme la rose, du pourquoi. Ce qui n’empêche pas un comment, et ce comment, c’est l’artiste qui l’évoque, soulignant l’investissement de son corps dans sa pratique. Un corps qui se révèle en négatif, dans son absence ou dans cette suspension qui lutte malgré tout avec une attraction terrestre que l’on sent toujours plus grave. Le choix de scénographie de son exposition à l’ahah offre une direction, une dynamique à ces plages comme autant de grèves de silence. Un paradoxe qui n’en est pas un ici, l’art permettant de faire vivre la tautologie comme l’antinomie ; la musique qui nourrit sa création sonne de toute la pesanteur de son absence, le corps, le sien comme le nôtre, étouffent, reléguées en marge de la surface, les rémanences de la lumière.
« Par espacements et par apparitions », du nom de l’exposition, comme un mouvement laissant advenir un fond préexistant, un fonds de matière couleur qui déborderait sa propre antériorité et brouillerait par là-même les temporalités. En déroulant ce fil, on pourrait voir dans les « plaques » de Claire Chesnier des miroirs d’une transcendance bien particulière ; non pas verticale mais bien horizontale. Le plan est certes dépassé mais cet « autre » ne délaisse pour ainsi jamais notre matérialité, cette antre nous suit de près. En nous faisant face, la peinture nous embrasse. « La peinture est une tentative d’enlacement, d’embrassement et le contraire de la prise du concept ».
Autant d’ouvertures à une lecture qui gagne pourtant à se rappeler à la simplicité de la sensation, à la perception fondamentale pour ne pas se perdre dans des conjectures qui pourraient paradoxalement réduire cet œuvre dont la chaleur se révèle bien plus accueillante que sa radicalité ne laisse imaginer. À condition donc de les prendre pour ce qu’elles sont et ne pas tomber dans l’extase que leur subtile profondeur peut entrainer, encourageant une lecture qui ne finirait par lire qu’elle-même. Il est alors tout à l’honneur de l’ahah de présenter ce travail sans l’accompagner d’emphase superflue, confiant à la discrétion de son auteur la distillation de quelques éléments (les influences culturelles qui peuvent par exemple l’accompagner au quotidien, aussi diverses qu’inattendues) qui la révèlent dans sa part la plus fondamentale. Comme une démarche expérimentale, en mouvement, enquêtant sur les conditions même de son existence.
La peinture est là, ce n’est plus tant le son procédé de fabrication ou ses mutations qui la justifient mais bien les problématiques liées à leur monstration, à leur étalement dans l’espace, à la manière de donner « lieu » à ces productions dont l’aspect, définitif est là pour rester. Parcourue de zones de tensions analogues mais toujours singulières, sa peinture révèle une force plus espiègle et plus passionnante encore que toutes les idées dont elle autorise l’accolement et dépassant également la possible impression d’innocence désincarnée. Dans la fragilité de leur équilibre entre minimalisme et force du sentiment, dans l’avènement de cette zone d’incertitude qui prend le parti du tout ou rien, les œuvres de Claire Chesnier affirment leur nature de « seuils » plus que de « vis-à-vis ».
Alors seulement l’on peut percevoir ce qui nous touche durablement ; une tentative sincère d’ériger, si ce n’est l’édifice, du moins les fondations d’un monument encore en suspens, vivant de sa propre recherche et consolidant, par la répétition et l’expérimentation, la solidité de ses propres bases.
Dans l’épaisseur des couches chromatiques, dans les pièges définitifs que ses gestes de peintre tendent aux pigments, noyés dans le secret de sa pratique d’atelier, Chesnier nous entraîne ainsi, plutôt que dans un avènement téléologique ouvert à toutes les interprétations, dans l’événement archéologique sensible déployé sur la feuille, plein de ses problématiques matérielles empilées, dont il nous appartient de creuser les strates pour laisser émerger à sa suite les conditions d’un langage des couleurs.