Ida Tursic & Wilfried Mille — Fondation Ricard
La fondation Ricard accueille jusqu’au 1er juillet Ida Tursic & Wilfried Mille, lauréats du prix Ricard en 2009, dans une exposition réjouissante et inattendue qui offre une facette nouvelle de l’œuvre de ce duo dans ce qui peut apparaître comme une véritable fête de la peinture.
Depuis près de quinze ans, le duo Ida Tursic & Wilfried Mille s’approprie des images du monde de la mode, de la pornographie ou de la culture populaire pour en offrir des traductions à travers une peinture qui en excite la sensualité et l’outrance, pour en faire également des exergues de notre imagerie contemporaine. Entre icônes et herbier aléatoire ironique, leur collection d’instantanés offre un diaporama de la représentation du présent. Par accumulation opérée et encore à venir, leurs images redessinent une histoire de l’art classique avec ses nus, ses portraits, ses paysages et ses scènes de genre, tout en s’ouvrant à la photographie moderne et en s’abreuvant des flux d’informations et de communication matériels et numériques.
« Bianco Bichon, Nero Madonna e altre distruzioni liriche — Ida Tursic & Wilfried Mille », Fondation d’entreprise Pernod Ricard du 23 mai au 1 juillet 2017. En savoir plus Si la logique d’accumulation, allant quelquefois jusqu’à la saturation, présidait à leur dernière exposition à la galerie Almine Rech, cette présentation à la fondation Ricard prend le contre-pied et offre un parcours épuré d’une dizaine d’œuvres presque uniquement inédites qui développent et fouillent en profondeur leur démarche. Une suspension, une pause dans leur pratique qui constitue, par opposition, une véritable célébration de la peinture. Tout est ici instable, défie les perspectives et, derrière une étonnante retenue, ça saute et danse avec le choix radical de propulser le visiteur à travers les siècles, les époques et les modes de représentation qui dépassent les limites de l’habituelle ironie.Quels que soient leurs sujets, les tableaux d’Ida Tursic & Wilfried Mille témoignent toujours d’un amour immodéré de la peinture et, à tout le moins, d’une capacité à en faire sentir la jouissance, déjouant toujours, en modifiant leurs supports et leurs techniques, notre capacité d’appropriation. Loin du glam erotico-pornographique, la séduction joue ici sur un autre plan utilisant d’autres biais pour faire évoluer une peinture ancrée dans son époque qui, au-delà de la simple image, s’impose comme une force indomptée, s’émancipe de toute bienséance pour asseoir sa présence. Évidente ou non, cohérente ou non, esthétique même ou non, chacune de ces images participe d’un ensemble qui ferait presque de l’exposition un dispositif global, une installation qui ne s’appréhende que par la mise en scène de sa multitude et de son ambiguïté, valeur essentielle de cette reconstruction par la peinture. Pour autant, la peinture d’Ida Tursic & Wilfried Mille ne constitue pas une absolution ; elle porte en elle toute la violence, l’absurdité, la fragilité ou la beauté de ses sujets.
Ici encore, le duo utilise la peinture comme on aligne des mots d’un vocabulaire pour en tirer une langue. Une langue béante adressée à la belle peinture, au bon goût comme aux conventions, entre joyeuse moquerie et désir pendant. Si l’exposition à la fondation Ricard ne fait aucune référence directe à l’imagerie pornographique (ou si peu), tous les éléments de leur vocabulaire visuel se retrouvent avec cet humour dégagé qui en fait toute la force. De la peinture réalistico-comique d’un bichon posant auprès du portrait d’un second bichon dont la sobriété du titre, Double Poodle évoque tout l’absurde de la mise en scène au fantastique Grand Incendie qui déploie une explosion de couleurs d’une incontestable efficacité et redoutable puissance plastique. À ses côtés, un minimaliste Blanc et la reproduction du témoignage de l’acte d’auto mutilation du peintre Van Gogh viennent déjouer ce faste pour renverser l’équilibre d’une peinture qui, pour tout art qu’elle est, tout processus décisionnel né d’une perception et d’une volonté de transfiguration, n’a rien du sacré.
Du sublime à l’anecdotique, de la recherche de l’universel au simple vecteur de communication, la matière peinture devient l’objet d’une formidable recherche qui, unissant les contraires, pointe avec sagacité et ironie acerbe ses propres contradictions. Il faut à ce sujet rendre justice à l’association fabuleuse, dans la dernière salle, qui organise la rencontre d’un troisième bichon, peinture installée dans l’espace comme une sculpture qui jouxte des panneaux déménagés directement de l’atelier représentant les fameuses lettres Hollywood souillées de marques témoignant d’essais et d’erreurs qui les ont devancées. Derrière ces deux œuvres, une Madone, motif classique d’après le modèle de Rafaello Sanzio, 1508, s’étale sur des planches de bois après avoir subi l’épreuve du feu. Ce panorama surréaliste, empli de chiasmes enchâssés avec un bichon aux allures de « photobomb », se fait reflet d’un monde dépassé par ses propres images que le geste des peintres, loin de s’en faire accusateur, parvient à déplacer pour en offrir une narration vertigineuse.
Avec Bianco Bichon, Nero Madonna e altre distruzioni liriche, la fondation Ricard présente donc une exposition convaincante et clairement pensée qui ouvre de nouvelles perspectives dans la pratique même du duo d’artistes ainsi que sur notre propre rapport à la peinture et, par extension, à toutes nos perceptions.