Julien des Monstiers — Entretien
Pour sa première exposition personnelle qui se tient jusqu’au 27 février à la galerie Christophe Gaillard, Julien des Monstiers propose un parcours riche et plein qui interroge tant l’histoire que la pratique même de la peinture.
Récent lauréat du prix Marin, cet artiste né en 1983 nous invite ici à une plongée en apnée au cœur d’un monde chamarré et vibrant, celui de la peinture. S’il se place à la lisière du minéral et de l’astral en invoquant les « météorites » dans le titre même de cette exposition, Julien des Monstiers annonce en réalité toute la puissance de ce phénomène qu’est la peinture, rencontre explosive entre la couleur et la toile, entre la nature fossile du pigment et l’infini sillon que vient tracer sa confrontation au regard.
Guillaume Benoit : Pourquoi ce titre, À l’ombre des météorites ?
Julien des Monstiers : Pour son côté mystérieux. C’est une formule qui me plaît parce qu’on ne sait pas trop où l’on est, sur la terre, dans les abysses… Il y a quelque chose du sédiment, qui touche à la création d’une structure, d’une matière qui aurait une mémoire. Intuitivement, je travaille sur cette mémoire de ce qu’est la peinture dans tout ce qui a été fait, dans tout ce qui est possiblement faisable. Que l’on parle de peintures pompéiennes ou de peintures rupestres, ce sont des champs dont subsistent des restes en surface, des traces.
La question de la trace et de l’effacement est cruciale dans votre travail, elle rejoint le procédé même que vous utilisez pour ces nouvelles peintures…
Dans ma peinture, tout ce qui est figuratif dans mon tableau arrive en dernier, ce que l’on voit est en réalité peint partie par partie, sur une plaque en métal. Après avoir peint plusieurs couches, je récupère le motif de la plaque sur un grand film plastique et le pose ensuite sur la toile, comme un transfert à la surface du tableau. C’est pour cette raison qu’il n’y a pas de trace de pinceau, que je n’utilise que pour quelques petites retouches. Lorsque le fond est fait, la peinture vient se déposer dans tous les sillons, comme si je venais écrire sur une surface qui a déjà une histoire. Il y a donc en effet quelque chose de l’apparition, j’accepte une part de hasard qui abîme véritablement la toile.
Cette méthode à laquelle vous vous astreignez pose la question des limites de la peinture.
Je m’impose en effet des contraintes en terme de méthode, de technique, je m’oblige à en passer par toutes ces étapes successives. Il s’agit d’une distance que je veux prendre avec le tableau, faire en sorte de peindre « à rebours », que le tableau « redevienne » de la peinture. Pendant longtemps j’ai été en lutte avec la virtuosité en peinture, j’ai essayé de créer des distances avec tout ça, faire en sorte qu’il n’y ait aucune démonstration de force, ou qu’elle soit faite en amont, autre part, qu’il y ait simplement un reste qui persiste à la surface du tableau. Mes peintures sont assez violentes, elles ont quelque chose d’indigeste, il faut ainsi assumer leur côté monstrueux. C’est comme si j’appliquais une certaine érosion du temps, mais à travers le geste seul.
C’est aussi une manière de brouiller notre rapport à l’image ?
Cela m’intéresse qu’on ne sache plus ce qui a été fait avant ou après, que ce qui paraît arraché soit en réalité le résultat de textures faites auparavant. Il y a toujours cette volonté de scinder plusieurs couches en une. On peut sentir qu’il y a eu une succession de gestes, que la toile a été manipulée, mise au sol, levée… Mais à la fin, tout ça doit disparaître au profit de l’image, comme si elle avait été écrasée à la surface du tableau. On pourrait rapprocher cela de procédés photographiques un peu étranges qui feraient apparaître les images, ou même de la création numérique, où subsiste une mémoire des gestes dont on ne perçoit que la fusion des couches.
Il semble en effet que l’on perçoit dans vos œuvres une forme de surgissement, un mouvement de la matière qui affirmerait sa propre force vitale.
Avant, j’appliquais un papier calque sur le tableau et j’arrachais la peinture. Petit à petit, je me suis rendu compte que le plus intéressant dans tout ça était le calque qui portait le négatif, la peinture arrachée. J’ai donc commencé à l’imprimer sur des bouts d’autres toiles et j’ai souhaité peindre un motif pour le coller ensuite sur le tableau. Ce sont finalement les gestes qui comptent, non pas ce que je peins mais comment je peins. Je ne suis pas sûr de comprendre encore comment je crée le mouvement mais je tiens particulièrement à l’idée d’habiter la peinture, notamment l’habiter avec mon corps.
Comme par exemple avec ces tableaux surmontés de griffures ? S’agit-il d’une forme de violence ?
Même s’il y a une destruction de l’image, je veux au contraire l’adoucir, tout comme avec les courbes que j’obtiens en faisant rouler une bille qui dessine des sillons sur la toile. Il s’agit de créer un territoire, créer la surface sur laquelle va venir se poser l’image. Toutes les traces doivent me contenter, le tableau qui est en-dessous est bien plus qu’une base, c’est vraiment monté petit à petit. Cela m’intéresse que la toile raconte en quelque sorte ces arrachements, ces vides et ces pleins, plutôt que de parler des motifs en eux-mêmes.
Pourtant, il semble que ceux-ci soient très liés au monde animal, c’est un hasard ?
Je ne me posais pas beaucoup la question auparavant. Si je vois une belle image de cerf, j’ai envie de la peindre. Mais à force d’en faire, je me dis que je dois avoir un intérêt puisqu’il n’y a quasiment jamais de personnages. Peut-être est-ce lié au côté primaire, à la puissance animale ou à une certaine force de vie, à la manière des peintures rupestres. C’est quelque chose de très intuitif, parfois, je me sens assez proche de la démarche de Gilles Barbier, qui joue son travail aux dés. Cette démarche m’intéresse, être en soi multiple et se démultiplier ; être un peintre d’animaux, de motifs floraux autant que d’abstraction, tout cela est fédéré à travers la même personne, la même méthode. Parfois l’histoire de la peinture se fait avec des gestes simples, Fontana qui déchire sa toile ou Hantaï qui en fait un nœud. Une méthode oblige à aller à l’essentiel en peinture, cela change tout dans l’histoire de la création et permet d’épouser tout l’univers dans lequel le peintre vit.
La question du collage est-elle importante pour vous qui vous réappropriez régulièrement des tableaux de grands peintres ?
Il s’agissait plutôt de simulacres de tableaux, je reprenais des tableaux extrêmement connus, ce qui me plaçait presque dans une situation d’abstraction, dans une pratique à double tranchant. En ce qui concerne les collages, j’en ai beaucoup fait, j’écrivais par exemple dans les tableaux, je faisais des collages dans le sens où je collais des éléments les uns à côté des autres. Je crois qu’aujourd’hui si les textures intéressent beaucoup les peintres c’est que cela répond à la question du collage, mais ce n’est plus « à côté » c’est « par-dessus », comme si l’axe avait changé. On monte les strates les unes sur les autres. Je me rends compte qu’il y a de plus en plus de jeux sur les textures. Comme en philosophie ou en science d’une certaine manière, on s’est tant approché du sujet qu’on ne peut aller plus profond, on en vient à glisser dessus.
Vous présentez des tableaux assez différents, comme s’ils étaient issus de plusieurs séries, et pourtant, une certaine unité se manifeste à mesure que l’on progresse dans vos œuvres.
Dans ce cas particulier, j’ai réalisé tous ces tableaux en même temps dans un laps de temps assez restreint. Le fil rouge est évident à l’atelier, par contre, lors d’un accrochage, c’est beaucoup plus difficile et cela peut révéler des discontinuités. Du coup, de la même manière que je m’impose des contraintes techniques dans la peinture, nous avons essayé de placer le curseur sur des questions techniques dans la scénographie, comme l’alignement des tableaux, leur format.
Plus généralement, on passe dans votre travail de la figuration à l’abstraction, et cela à une multitude de niveaux. Est-ce une façon de jouer sur les frontières de ces champs que l’on oppose souvent ?
Il y a des générations de peintres qui ont travaillé sur ces problématiques, la question de la césure, de la figuration. La peinture ne peut pas porter uniquement sur un discours local, cela doit être éclaté. C’est finalement quelque chose qu’on fait toujours quand on peint. Les premières touches, les premiers gestes sont abstraits, il n’y a pas de césure entre la figuration et l’abstraction, on accumule simplement des zones abstraites pour finalement représenter quelque chose. J’ai un amour pour la peinture, j’aime voir la touche, le geste parfait, mais ça ne peut pas être un principe, je ne fais pas de peinture pour faire des gestes parfaits. Il faut que la peinture ait à voir avec d’autres choses. Il faut accepter aussi une partie de l’histoire de la peinture avec par exemple des mouvements tels que Supports/Surfaces, dans lesquels l’homme n’a pas besoin de se montrer. Il y a quelque chose de politique à ne plus voir le corps comme quelque chose de lyrique mais plutôt quelque chose de mécanique.
Julien des Monstiers, À l’ombre des météorites, jusqu’au 27 février à la galerie Christophe Gaillard, 5 rue Chapon, 75003 Paris, du mardi au vendredi de 10h30 à 12h30 et de 14h à 19h, le samedi de 12h à 19h.