Lionel Sabatté — Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne
Invité pour une exposition personnelle au Musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne, Lionel Sabatté a réuni un ensemble d’œuvres, témoignant de son intérêt pour les différents règnes végétal, animal, minéral et en a réalisé deux autres in situ.
L’artiste s’attache à créer sur place dès qu’on lui en offre la possibilité, ce qui lui permet de s’imprégner du lieu et de travailler en fonction de son ressenti. Il privilégie des matériaux qui incarnent le passage du temps, la mémoire des matières et la régénérescence. La préservation et le soin sont au cœur de sa pratique artistique. Ses œuvres expriment les transformations, le changement, la mutation… Etranges et en même temps fascinantes, elles nous amènent à songer à des temps reculés et aux interactions entre les vivants.
Le titre choisi pour l’exposition, Eclosion, exprime une émergence, une naissance, l’origine d’êtres vivants. Lionel Sabatté s’attache en effet à redonner une seconde vie à des éléments trouvés, recueillis, récoltés dans les lieux où il est invité à exposer et auprès de personnes qui les lui confient… Des relations entre des couleurs et des matières se tissent au fur et à mesure de notre déplacement, comme si les œuvres se répondaient les unes aux autres et nous amenaient à y déceler différentes transformations.
Dans le hall, Printemps 21, un châtaignier choisi par Monsieur Thibaudet de l’Office National des Forêts et issu du château de la Perrotière, un lieu connu des habitants, tel un témoin du territoire, retrouve de la vigueur. L’artiste l’a restauré, le faisant refleurir en le dotant de bourgeons réalisés minutieusement à partir de peaux mortes, confiées par des podologues. « Je tente de soigner et d’accorder de l’attention à notre environnement et aux êtres vivants non humains. » explique-t-il. Par ce geste, la métamorphose s’opère et l’arbre apparaît majestueux. Il nous accueille tel un témoin de la nécessité de connaître et de préserver ces êtres majestueux.
Les matériaux et les éléments constitutifs de nos transformations participent de la réflexion de l’artiste sur la fragilité de l’homme. Des dessins de visages réalisés en cheveux et poussière récupérés relèvent d’une tentative de saisir une personne, en un temps donné.
Ses polyptiques de plaques de cuivre oxydées nous invitent ensuite à un voyage dans les profondeurs de la terre et à découvrir des phénomènes d’une grande puissance. Ses actions sur ce support laissent percevoir une possible chaleur qui produit une forte lumière. Certaines nous amènent à discerner des écorces qui se délitent… Ses plaques incarnent des mouvements, des transformations ainsi que les relations entre l’artiste et son support. Elles nous transportent dans un monde enfoui et laissent émerger une impression de bouleversement.
Ses oiseaux de bronze nous intriguent par la pesanteur qu’ils expriment. Pour Lionel Sabatté, cet animal symbolise la fragilité et la liberté. À partir de restes de l’atelier de fonderie accumulés, il fait naître des troncs sur lesquels ces bêtes viennent se poser. L’agrégat de matières donne naissance à des êtres hybrides entre la poussée d’une tige et le volatile. En circulant parmi ses sculptures installées à différents niveaux, du sol vers l’aérien, nous pouvons imaginer un champ d’oiseaux en suspens. Ces présences auraient émergé du paysage caverneux de la salle précédente et symbolisent une vie animale en devenir.
Il est question d’apparition dans ses dessins sur papier noir en hommage à Pierrette Bloch. L’artiste expérimente les interactions entre les matières tel un chimiste ou un cuisinier qui observe leur comportement sur le support. Dans cette série intitulée Quelque part entre poussin et œuf au plat du 1er février 2020, du 21 janvier 2020, du 23 janvier 2020 et du 24 janvier 2020, résultat d’expérimentations à partir d’un mélange d’acrylique, de médium et de curcuma, il rend visibles des formes de corps d’animaux, nous invitant à contempler la création de la vie. En parallèle, il fait refleurir un arbuste qui appartenait à l’artiste et dont il ne restait que les branches sèches. Une sorte de magie s’opère par son action méticuleuse et digne d’une extraordinaire patience.
En avançant vers la salle suivante, une installation capte notre regard et suscite notre interrogation. Serait-ce un bateau échoué, une ruine, un milieu naturel en devenir ? Lionel Sabatté l’a conçue in situ en prenant le temps d’observer de quelle manière elle grandissait dans l’espace. Un groupe de sculptures de corps, réalisées en filasse et restes de ciment, dans des postures difficiles à tenir nous fait prendre conscience de l’être humain, de sa fragilité, de ses difficultés et capacités à se relever. Ses Fragments évoquent également des déplacements, des gestes de corps, une possibilité de faire face à un bouleversement, à une destruction. Passant à travers son installation qui découpe tout en créant des percées dans la salle, se découvrent Sous-bois et Forêt, des plaques d’acier oxydé. Elles s’imposent à nous par la puissance des textures et d’une destruction de la matière. Des souvenirs d’exploration de milieux forestiers peuvent également survenir en nous. Le mur des ouvertures s’apparente alors à un entrelacement de branches qui rappelle un chemin que l’on se fraye parmi des arbres, en forêt. Plutôt qu’une limite, cette œuvre crée un passage entre plusieurs mondes, le végétal, le minéral, le géologique et l’humain.
En clôture de l’exposition, son Tissu réalisé à partir d’une grande quantité de peaux mortes capte la lumière et condense des fragments qui symbolisent l’humain dans les différentes étapes de sa vie. On ne peut qu’être saisi par l’énergie qui émane de cette œuvre suspendue. Cette membrane garde en elle la patience de plusieurs personnes qui ont contribué à l’ouvrage. Ce travail artistique d’une grande minutie conduit à méditer et à songer au caractère éphémère de chaque être vivant.
L’œuvre de Lionel Sabatté est une ode au temps long, au cycle des matières, aux potentielles réparations qui font surgir de nouvelles formes de vie. Malgré les tempêtes ou autres bouleversements dans la nature, des paysages se recomposent. Le parcours de son exposition nous invite à traverser des mondes entre passé et futur, entre ruine et construction, entre fanaison et fleurissement. Nous sommes touchés par la force de ses œuvres qui nous font prendre conscience du caractère fugace de la nature, qui se renouvèle pour nous offrir ses merveilles.