Panorama 01/14
De la maison rouge au Palais de Tokyo en passant par le Jeu de Paume, la rédaction pose un regard sans concession sur les expositions franciliennes du mois de décembre.
Matière et mémoire — Galerie Jaeger Bucher •••
Trois espaces redessinent les lignes de force de la carrière du galeriste Jean-François Jaeger, à l’occasion de son 90ème anniversaire. Des années 60 à nos jours, cette figure du monde de l’art a représenté d’essentiels artistes comme Nicolas de Staël, Jean Dubuffet, Mark Tobey, Maria-Helena Vieira da Silva parmi d’autres. Il mit également toute son énergie à traiter de problématiques telles que les Arts premiers ou l’Orient. Matière et mémoire, au-delà de son allusion au texte de Bergson est une exposition d’une force inqualifiable, indatable, qui restitue avec sensibilité une carrière passée à faire vivre des œuvres, à faire ressentir le pouls humain qui les fit naître. Celui des artistes, bien sûr, mais aussi celui du galeriste qui en conforta l’existence. L.C.-L.
Alejandro Cesarco — Secondary Revision — Le Plateau •
Construite comme une autobiographie, l’exposition propose une immersion dans les références de cet artiste uruguayen. Et si elle est avare en œuvres et aride, elle a le mérite certain d’interroger la filiation affective d’un artiste. Et de rendre visible une belle réalité : la naissance d’un univers artistique n’est jamais pure, celui-ci baigne dans un lacis d’influences conscientes ou inconscientes qui tiennent dans ce parcours, la première place, là où elles occupent généralement un second plan. L.C.-L.
James Edward Deeds — Galerie Christian Berst
Longtemps resté dans l’ombre de l’histoire de l’art, James Edward Deeds y est entré récemment, pour ne plus en sortir. Cet artiste, rattaché à l’art brut, est exposé à la galerie Christian Berst, à Paris, après avoir été montré à Lausanne, dans la collection naguère créée par Dubuffet pour regrouper les œuvres de ce courant. Avec toute la simplicité et l’effacement nécessaire pour laisser éclore l’évidente beauté de cet œuvre, la galerie Christian Berst livre une monographie absolument limpide, sans fioriture aucune, qui rend tout le tragique de l’histoire personnelle de Deeds, traité aux électrochocs deux fois par semaine sans anesthésie, interné de force dans un hôpital psychiatrique après une simple bagarre avec son frère. L.C.-L.
Sophie Calle — Galerie Emmanuel Perrotin ••
Absence, disparition, on l’a beaucoup dit, sont autant de thèmes chers à Sophie Calle. Avec le parcours Dérobés, l’artiste en explore à nouveau les veines et convie le regardeur à observer la brutalité qu’induit le vol d’un tableau. Trois salles, trois séries. Parcours resserré donc. Pourtant, c’est dans la durée que celui-ci s’inscrit. Car comme souvent, Sophie Calle, convie à la lecture. Une lecture comme temps d’arrêt et invitation à la réflexion. L.C.-L.
Joel Kyack — Galerie Praz-Delavallade ••
Pour sa première exposition personnelle en France, l’artiste américain Joel Kyack investit la galerie Praz-Delavallade et propose, avec Point at the Thing that’s Furthest Away un cocktail délirant et jubilatoire de peinture moderne qui cache, sous sa puissance frontale, une profondeur insoupçonnée. Il faut reconnaître une fois de plus la qualité de la trouvaille de la galerie Praz-Delavallade qui ose s’aventurer sur les terres libres du Californien qui, sous ses airs de farceur à tendance scatologique assumée, ne cesse d’alimenter ses inventions de points de tension conduisant à repenser les liens de l’humanité moderne à la nature. G.B.
Théâtre du monde — La maison rouge •••
Métamorphosée, la maison rouge signe une dixième exposition de collections particulières d’une richesse absolue. Les invités sont de marque puisque se côtoient ici la collection de David Walsh, fondateur du MONA (Museum of Old and New Art) et celle du TMAG (Tasmanian Museum and Art Gallery), le tout agencé et mêlé par la sagacité du commissaire Jean-Hubert Martin. Une mise en regard intime, sincère pour un résultat hautement convaincant. Les deux collections traversent ainsi les grands thèmes de la vie sans jamais tomber dans des schémas faciles ou déjà empruntés. Force et émotion sont au centre de ce chemin entre vie et mort, de l’Antiquité à nos jours. L.C.-L.
« Théâtre du monde », La maison rouge du 19 octobre 2013 au 19 janvier 2014
Philippe Parreno — Palais de Tokyo •••
Par la sensation, par la mise en espace, Philippe Parreno déploie une langue des sens, des sensations, où le froid de l’espace compénètre l’obscurité, où l’espace lui-même ne se fait plus simplement dimension à percevoir mais à ressentir. En ce sens, le Palais de Tokyo offre un terrain de jeu superbement employé par l’artiste qui fait de l’apparente économie de moyens, de pièces une possibilité même d’en goûter l’infinie sensation. G.B.
Erwin Blumenfeld — Jeu de Paume •••
D’Erwin Blumenfeld, on connaît surtout sa période dédiée à la photographie de mode. Le Jeu de Paume choisit de cantonner cet aspect à une seule et unique salle de sa rétrospective, aux côtés d’autres pièces vouées à exhumer d’autres pans de sa carrière pléthorique moins connus et même inédits, tels que photomontages, dessins, collages. Un parcours qui fait place à toute la modernité de son œuvre pour un résultat grandiose. L.C.-L.