Panorama 04/12
La Triennale, Intense Proximité •••
Formidable initiative que d’avoir repensé en profondeur les bases de la Triennale parisienne. Exit la Force de l’art pour retrouver, dans la subtilité et l’intelligence, une véritable ambition face à l’art, dans son engagement comme dans sa capacité à engager le regard. Dans ce parcours foisonnant, inattendu et inventif, c’est une cartographie des rapports humains qui se fait jour, jouant de la distance autant que du rapprochement. Sans jamais tomber dans une idéologie de façade et profitant de l’éclectisme formel et générationnel de ses participants, Intense Proximité repense la place de l’art dans la société en même temps qu’elle en découvre la fabuleuse vertu réflexive. — G.B. — La Triennale, Intense Proximité au Palais de Tokyo jusqu’au 26 août 2012.
Christopher Wool ••
Judicieuse idée que cette sélection resserrée sur le très récent travail de l’artiste, la trentaine de toiles offrant ainsi une puissante cohérence. Le parcours déroule dès lors une création pensée et campe un temps particulier, infiniment dense dans sa qualité réflexive. Recherche incessante, exploration en puissance, son œuvre se conjugue au présent. Le procédé du double cadre l’illustre bien ; Wool trace souvent une marge nette censée contenir sa création, mais il l’outrepasse, systématiquement. La limite qu’il se fixe n’existant que pour être transcendée. Est-ce une façon d’être à la fois à l’extérieur de son œuvre et en son sein dans un même mouvement ? Difficile de ne pas lui prêter en tout cas cette envie d’exprimer physiquement le recul conceptuel qu’il a sur son travail et son besoin constant d’en analyser les effets. Éprouvant, dans le bon sens du terme. — L.C.-L. — Christopher Wool, au Musée d’Art Moderne de la ville de Paris jusqu’au 29 août 2012.
Gestes et mesures à l’horizon des surfaces •
Avec Gestes et mesures à l’horizon des surfaces, Élodie Seguin fait preuve d’une rare audace en s’intégrant dans l’espace d’exposition par touches, usant de la discrétion de ses structures pour mieux le révéler. Révélant sa spécificité autant qu’elle l’utilise à ses propres fins, l’artiste fait œuvre de l’espace et crée un équilibre subtil, presque éthéré, qui met en scène une présence aussi forte que silencieuse. — G.B. — Élodie Seguin, Galerie Jocelyn Wolff du 22 mars au 26 mai.
Beauté animale •
Quelques très belles œuvres peinent à sauver des eaux cette exposition au thème prometteur mais somme toute assez décevante. Les cartels versant dans l’excès pédagogique rappellent discrètement et en creux la nécessité de proposer de temps à autres des parcours grand public. Mais faut-il en oublier pour autant la dimension artistique et confondre l’exercice avec un exposé de sciences naturelles ? — L.C.L — Beauté animale, aux Galeries nationales du Grand Palais du 21 mars au 16 juillet.
Helmut Newton •
Contre toute attente, et c’est là que point toute l’impunité du génie d’Helmut Newton, le potentiel érotique de ces images à l’explicite parfois gênant, s’évanouit fugacement. Instantanément, ou presque, l’émoi possible prend les traits d’une excitation intellectuelle. Car donnée si frontalement, la chair offerte de Newton coupe court au pouvoir de l’imagination. Aussi, parce qu’il n’y a plus de mécanisme érotique engendré par l’effort imaginatif, la barrière du désir est-elle dressée de façon principielle. Helmut Newton interdit d’imaginer quoi que ce soit d’autre que ce qu’il montre. Dans cette crudité et cette obsession exhibitionniste des corps, il sait imposer une implacable décence. — L.C.-L. — Helmut Newton, aux Galeries nationales du Grand Palais du 24 mars au 17 juin.
Dessins contemporains surréalistes de Rotterdam •
Avec cette série de dessins de grands formats, tous issus de la belle collection du musée Boijmans à Rotterdam, l’Institut néerlandais confirme la grande qualité de ses expositions. Accrochage simple mais impeccable et propos limpide : toute une frange de l’avant-garde contemporaine hollandaise est pétrie de références implicites à l’histoire de l’art moderne et plus précisément au surréalisme pour cette sélection. Ainsi flotte un esprit années 30 au détour des dessins, ici un clin d’oeil à Ernst, là à Dali. On s’attardera sur le génial travail profusément drôle de l’artiste écossais et très coté Charles Avery, dont la première exposition personnelle en France se tenait l’année dernière au Plateau. Les tirages numériques retravaillés de Krijn de Koning réinventent quant à eux le champ du dessin et ouvrent de belles perspectives. — L.C.-L. — Dessins contemporains surréalistes de Rotterdam, à l’Institut néerlandais jusqu’au 13 mai.
Néon — Who’s afraid of red yellow and blue? ••
Si elle semble négliger le pionnier Dan Flavin, qui avait fait du tube fluorescent son matériau de prédilection, l’exposition place des jalons et révèle des contrastes étincelants. Foudres et suspensions, palpitations transies dans leur éclat froid ; les contraires abondent en effet dans l’usage d’un objet dont l’aura transcende la matérialité du verre. Toute d’obscure clarté, la scénographie res(t)itue élégamment ces paradoxes. — P.B.-H. — Néon à la maison rouge jusqu’au 20 mai.
Gelitin, the voulez vous chaud ••
De la drôlerie scatophile et monumentale ne reste ici que le suc essentiel, la capacité de ce collectif à se plier au jeu de l’exposition. Seules deux séries d’œuvres sont présentées dans cette exposition the voulez vous chaud. Un titre loin de figurer une hypothétique question ou même une permission ; les Gelitin s’emparent des cimaises de la galerie Perrotin sans faire de manières et exhibent sexes, matières fécales, corps suggestifs dans des collages surréalistes où les matières amalgamées viennent s’agglutiner pour figurer des œuvres organiques peuplées de fantasmes, de fantaisie autant que de banalité. Car c’est là la grande force des Gelitin que d’avoir cerné cette frontière infime entre le plaisir de choquer et le plaisir en soi. Devant, derrière, les images de sexualité n’ont rien de la simple provocation priant les âmes sensibles de s’abstenir. Ici au contraire, tout n’est que sensibilité, rappel du corps, délire de la matière, désir de la représentation, obsession d’imaginaires capables de voir dans chaque objet la possibilité du jeu érotique et, partant, d’un nouveau rapport aux sens. — G.B. — Gelitin, the voulez vous chaud à la galerie Emmanuel Perrotin jusqu’au 21 avril.
Degas et le nu ••
Le musée d’Orsay consacre un passionnant parcours au nu dans l’œuvre d’Edgar Degas. L’occasion de déceler au fil du temps et des salles la transformation de son regard sur les corps, ses modèles passant du marbre à la chair. Il est en effet le premier à jeter les bases du renouvellement de ce genre classique par excellence, inspirant au passage Bonnard et Picasso. Et si cette primeur lui revient tout naturellement, c’est qu’il pensa différemment le nu. C’est dans la matière, l’encre brossée, essuyée par des chiffons, que Degas travaille au corps ses sujets, les saisit dans le mouvement en floutant les contours, l’une sortant de la baignoire, l’autre se dirigeant vers le « tub » (bidet qui préservait les prostituées des maladies vénériennes). De ses clairs-obscurs revisités par le XIXème siècle et l’acuité du contemporain, Degas signe l’ancêtre du reportage et semble « sur le terrain ». — L.C.-L. — Degas et le nu au musée d’Orsay jusqu’au 1er juillet.
Berenice Abbott (1898 — 1991), photographies •
De ce parcours chronologique consacré à la photographe américaine Berenice Abbott, disparue en 1991 et passée à la postérité notamment par la façon dont elle promut l’œuvre d’Eugène Atget, on retiendra surtout l’absolu génie de sa série de photographies scientifiques réalisée en pleine Guerre Froide. Tout en abstraction et rappelant par touches les rayogrammes de Man Ray qui l’avait formée à Paris dans les années 20, ces épreuves happent littéralement le regard. Passionnée par l’invisible, Abbott utilise pour ce travail des fonds noirs pour révéler ce qu’à l’oeil nu l’homme ne peut voir ; le principe ondulatoire de la lumière ou le magnétisme. Sa méthode, d’une prouesse technique vertigineuse impressionne plus encore que ses premiers portraits de studio de Cocteau ou son approche documentaire sur la transformation de la ville de New-York, passionnante historiquement mais moins renversante conceptuellement et formellement. — L.C.-L. — Berenice Abbott — Photographies au Jeu de Paume jusqu’au 29 avril.
Group Show — Galerie Emmanuel Perrotin
Une exposition collective qui démarre dans l’intensité avec une très belle toile de Takashi Murakami et le monumental Nasutamanus de Daniel Firman, qui réactive son fameux éléphant Würsa perché sur sa trompe en le plaçant à l’horizontale. Pourtant, passées les deux premières salles, peu de surprises et peu d’inventivité dans cet accrochage très classique qui accumule les œuvres récentes des artistes de la galerie et peine quelque peu à en exalter la force. S’il faut noter l’intéressante salle consacrée aux sculptures de Johan Creten, ce Group Show ressemble quelque peu à une bande-annonce des expositions à venir à la galerie. — G.B. — Group Show à la galerie Emmanuel Perrotin jusqu’au 5 mai.
Le Théâtron des nuages •
Le parcours induit de tourner en rond, mais jamais à vide. L’amphithéâtre d’échafaudages qui permet d’exposer dix ans du travail d’IFP est l’édifice parfait pour créer le cœur d’une réflexion. Espace d’interrogation autant que d’exposition, Le Théâtron des nuages restitue en images et en films les différentes formes produites par cette agence de 1984 à 1994 : mise en scène de défilés de mode, expositions, vente de disques et de livres, conférences… Passionnante autant que drôle, cette rétrospective est une mise en orbite non dénuée de nostalgie des idées d’un cercle d’amis et de collaborateurs qui ont tenté de traduire formellement ce qu’était l’art dans les années 80 ; « IFP, c’est un emblème, mais c’est aussi un diagnostic de ce qu’est l’art, notre définition de l’art en général, à savoir que l’art est une affaire d’information, de fiction et de publicité ». Une franche réussite. — L.C.-L. — Le Théâtron des nuages, une exposition d’Information Fiction Publicité au MAC/VAL jusqu’au 3 juin.
Foto/Gráfica ••
Le BAL exhume un corpus de livres de photographies rares, voire introuvables, publiés en Amérique latine au siècle dernier. Un parcours qui ponctue de longues années de recherche, orchestrées par l’historien de la photographie et commissaire de l’exposition Horacio Fernandez, entouré pour l’occasion d’un aréopage de choix, parmi lequel Martin Parr. Première escale d’une exposition qui voyagera à l’international. — L.C.-L. — Foto-Gráfica au BAL jusqu’au 8 avril.