Printemps des Laboratoires #5 — Les Laboratoires d’Aubervilliers
Du 21 avril au 9 juillet, Les Laboratoires d’Aubervilliers organisent leur Printemps des Laboratoires, Extra Sensory Perception, une succession d’événements qui, fidèles aux habitudes du lieu, font du spectateur un agent actif de la création. Focus sur deux performances qui émailleront cette programmation.
Avec pour thème les « Perceptions extra-sensorielles », les Laboratoires investissent un champ inattendu qui ouvre des questions de communication et de société alternatives. Dépris des cadres d’une normalisation et et d’une systématisation des relations sociales, les discussions abordent donc des modes de partage et de rencontres qui font la part belle à la singularité, à la mise en commun de l’ « impartagé ». Au-delà de la pure rationalité, qu’en est-il de la perception ? À travers la littérature d’anticipation, les sciences humaines et occultes, le théâtre et les rites collectifs, Les Laboratoires poursuivent les rencontres engagées depuis le début de saison en laissant une grande part de poésie et d’inconnu à leur projet aussi ouvert qu’exigeant. Avec un nouveau format étiré qui se déploie sur trois mois, ce Printemps des Laboratoires perpétue la thématique de la place de l’art face aux mutations de la société en laissant une grande place à l’expérimentation et à l’inscription de l’échange, sous toutes ses formes, comme modalité de création. Durant ces trois mois, deux artistes aux univers différents, Mette Edvardsen et Bastien Mignot proposeront des performances qui ne sont pas sans faire écho à une certaine conception du langage comme possibilité de faire émerger une existence repensée et à son absence comme promesse d’une pensée inédite et ce à travers l’engagement de leur propre corps.
Mette Edvardsen
« Mette Edvardsen — No Title », Les Laboratoires d’Aubervilliers le 21 avril 2017 à 20:00. En savoir plus Venue du monde de la danse et de la performance, Mette Edvardsen développe une création qui s’étend jusqu’à la vidéo et aux livres. Active sur la scène internationale, elle développe depuis 2002 ses propres projets qui questionnent l’ensemble des pratiques scéniques en se concentrant sur la question de la présence, de la parole et du corps. Pour sa performance No Title, qu’elle accomplira durant le festival, Mette Edvardsen réactive un projet présenté pour la première fois en 2014 qui vient prendre à contre-pied ses habitudes en s’intéressant cette fois à l’absence, à la négativité comme force de création. En s’appropriant des concepts qu’elle dépouille de leur réalit, l’artiste tend à faire naître une forme de pensée sensible à l’acte de performation. En d’autres termes, si le concept n’est pas convoqué, il est par définition absent, forçant à repenser toute la structure de notre perception du monde. Ce faisant, le langage devient seule condition d’existence de la pensée, un héritage de la culture structuraliste qui n’est pas sans évoquer également certaines traditions aborigènes. L’évocation devient ainsi performative et, dans un décor dépouillé, l’artiste dvient garante de la réalité de son auditoire. Entre réflexion philosophique et expérience ludique et collective, No Title ouvre une parenthèse symbolique qui perturbe, dans les faits, notre appréhension concrète de l’imaginaire, s’attaquant frontalement à l’oubli, à la nécessaire disparition de toute « chose ». Comme une écriture dans l’espace, la graphie sans encre de No Title s’immisce sans pour autant se fixer dans les esprits de l’auditoire dont l’imaginaire conserve les traces mouvantes et dont l’existence même se subordonne à l’aléatoire.Bastien Mignot
« Bastien Mignot — Le ciel était trop nuageux pour voir les étoiles », Les Laboratoires d’Aubervilliers le 28 avril 2017 à 20:00. En savoir plus Chorégraphe, créateur de pièces aux frontières de la danse, du théâtre et de l’installation, Bastien Mignot se définit lui-même comme un auteur au sens « borgésien » du terme, conscient de la préexistence d’une bibliothèque des livres que les interprètes ne font qu’advenir. À travers deux axes a priori antithétiques, Bastien Mignot élabore des fictions lyriques où le mystère côtoie les connaissances. En effet, aussi attaché à la réalité tangible du paysage, au contact direct avec la nature probablement hérité d’un goût précoce pour la vie dans les bois qu’à la tentation romantique d’en faire vivre les fantômes, Bastien Mignot a développé une œuvre empreinte de mysticisme et de naturalisme qui dresse de véritables paysages imaginaires qu’il habite et nous invite à pénétrer. Lui qui trouve son inspiration « dans la littérature, la poésie, les sciences occultes et les cosmogonies » mettait en scène, en 2013, avec Nachleben une chorégraphie évoquant les processions mystiques avec une performance directement inspirée de la danse de la sorcière de Mary Wigman. Nu et seul en pleine forêt, à travers des gestes simples, il tente de faire naître le fantôme d’une danse qui appelait elle-même d’autres fantômes en couvrant progressivement des parties de son corps d’une peinture vive. Dans Le Spectre du spectre des spectres, pièce radiophonique créée pour France Culture, il convoquait le fantôme du poète russe Vladimir Klebnikov avec lequel il communiquait via la fiction et dont il faisait émerger une mémoire impossible, en prise directe avec sa propre relation à un père traducteur de l’écrivain.Pour sa création inédite Le ciel était trop nuageux pour voir les étoiles qu’il présentera aux Laboratoires d’Aubervilliers, Bastien Mignot nous invite une fois de plus au cœur de la forêt, maintenant une fois de plus une « part irréductible d’obscurité » en présentant une préfiguration d’une pièce à venir, avec ce qu’elle contient de doutes, d’errements et de manques. Cette entreprise « divinatoire collective » est ainsi vouée à créer une communication non maîtrisée, en devenir et destinée, dans son partage même, à permettre à l’imperceptible, à « l’imperçu », d’advenir.