Brian Calvin — Galerie Almine Rech, Matignon
La galerie Almine Rech accueille au sein de son espace Matignon une nouvelle exposition du peintre Brian Calvin (né en 1969), qui poursuit depuis les années 1990 une démarche picturale affirmant la prégnance du motif en le détournant de son rôle central pour inventer de véritables paysages abstraits de toute tendance narrative.
« Brian Calvin — More Days », Galerie Almine Rech, Matignon du 2 au 26 juin 2021. En savoir plus Détachés du monde, ancrés dans une fantaisie qui rompt avec le genre en abandonnant toute tentative de séduction, les visages féminins de Brian Calvin présentés dans cette nouvelle exposition More Days se succèdent avec la régularité du passage de panneaux sur une route sans accroc. À l’image de son titre laconique, cette série se confond avec le passage d’un temps qui a continué de défiler tandis que les journées, elles, se voyaient précisément fermées pour cause de crise sanitaire. Rien d’étonnant alors que tout déraille dans ces morphologies à mesure qu’on s’en approche ; passée la première sidération posant les armes devant tout réalisme, au sein même de ce système, les hiatus s’empilent, glissant derrière la vivacité des couleurs des détails monstrueux les indices d’une bataille menée par l’artiste avec le sens même sa pratique, avec la nécessité du motif et de l’aberration que constitue tout visage. À mesure qu’il approche sa focale, la réalité disparait, laissant derrière l’écho au monde contemporain d’une prégnance des traits de l’identité une abstraction de toute vraisemblance pour trouver une autre vérité, celle de la couleur et du monde, réel ou fantasmé qui vrombit derrière chaque regard.La figure s’émancipe du modèle, qu’on pense ici aux échos picassiens évidents, aux reflets de peintres libres tels que George Condo, William Copley ou Alex Katz, tout élément de chair est déconstruit, taillé en bloc puis rassemblé. La couleur s’épand vers de nouveaux contenus de sens. Le sujet humain perd son ordre biologique impérieux pour se faire support et accueille, comme une répétition de la toile, de nouveaux jeux de texture, de couleurs, observant comment leur agencement peut définir une nouvelle voie de lecture du monde tel qu’il va.
Dans sa diversité d’abord, son refus radical de pratiquer la nuance, organisant à la surface des conflits ouverts de couleurs qui sont autant d’affirmations tranchant avec l’absence d’expression des visages que son pinceau pétrit. Aussi absentes donc que leurs teintes sont criardes et leurs traits criants, les attitudes des modèles ne sont que des vides qui ne soucient plus de flatter leur semblable, le spectateur, décontenancé face à ces faces-mondes. Ainsi constamment mis à distance, l’objet tableau de Brian Calvin se fond dans les catégories tantôt du paysage, tantôt du portrait pour y couler définitivement et imposer sa propre catégorie, image d’image de la peinture.
Dans cette mise en perspective, la « famille » de personnages telle qu’il les présente se voit peuplée de membres effectivement marqués par une forme de consanguinité louchant sur notre propre regard en faisant de leurs yeux non plus l’outil de surveillance et d’appréciation de leur situation mais la porte d’entrée vers leur singularité, leur identité. Les yeux deviennent lèvres, se troublent d’un reflet méticuleux, se doublent d’un second regard qui les jouxte et intègre en leur sein la formule esthétique qui structure la composition voyageant entre les histoires de l’art, de l’Europe à l’Océanie, passant par l’Afrique.
Ils voient surtout le peintre expérimenter ses associations de formes et de couleurs pour plonger au cœur de la simplification, pour retrouver le signe minimal de l’expression, par l’un, d’un autre. Formidable synthèse de cette démarche aussi farouchement spontanée qu’inévitablement empreinte des années de recherche d’un peintre continuant d’expérimenter ses effets et le sens même de sa pratique, la succession de ces tableaux dessine un parcours dense qui marque par cette impossible proximité avec des visages qui troquent leur humanité pour une identité picturale qui cherche encore sa propre définition. Comme autant de personnalités en quête de leur propre sens. Comme autant d’êtres en somme.
La nonchalance et la radicalité du trait créent alors une rupture de genre qui mélange dans son précipité les marques du Pop, du cool, de la couleur décorative mais aussi l’angoisse de regards habités, malgré toutes les tentatives de s’en émanciper, de leur pesanteur existentielle.