John Tremblay — Galerie Triple V
La galerie Triple V confirme la dynamique amorcée par la fantastique exposition inaugurale de son nouvel espace rue du Mail. Un lieu exceptionnel mais particulièrement compliqué à habiter que ce solo-show, avec l’intelligence de l’artiste et de la scénographie imaginée pour l’occasion, parvient à employer pour faire vivre avec force ses œuvres intenses.
« John Tremblay », Triple V — Rue du Mail du 21 avril au 14 mai 2016. En savoir plus C’est ainsi à une succession de boxes imaginaires, délimités par les colonnes apparentes, que l’on fait face sur ce grand plateau qui constitue l’espace de la galerie. Les correspondances entre séries, motifs et couleurs se font jour progressivement et parviennent à donner un véritable rythme à l’accrochage, un étrange « swing » visuel qui, sans user d’artifices et en dévoilant d’emblée son étendue, maintient une énergie constante dans chaque perspective que le regard adopte. À l’image en réalité de l’œuvre même de Tremblay, qui explore, depuis les années 90, les champs ouverts par l’art optique et le Pop Art en les intégrant dans une pratique sensible qui fait de chacune de ses pièces un point d’ancrage et de confusion des références tout autant que de confrontation à la représentation d’aujourd’hui.Les matières, médiums et formes se mêlent ainsi dans les compositions de Tremblay qui brouillent les frontières entre peinture et sculpture, collage et combinaison, invention formelle et artisanat pour former des chorégraphies visuelles qui embrassent tous les domaines de la création d’aujourd’hui. La figure du point, cercle parfait répété, modifié et effacé par l’artiste, vient répondre aux angles brisés de ses toiles, aux anfractuosités des cadres qui perturbent la belle géométrie d’un minimalisme qui se pare d’une prégnante marque de la main. Le geste, l’intervention et l’accomplissement de l’artiste, se font marques subreptices qui tranchent avec l’abstraction perçue initialement. Le processus lui-même devient un motif, à l’image de Friendz Experiment et fait émerger de la sorte une présence de subjectivité, un procédé narratif dans la construction même de l’œuvre qui aboutit à une narration à l’œuvre cette fois-ci, dans sa série de toiles barrées d’une plaque de métal.
C’est en effet un complet renversement de la perception qu’opèrent ces compositions où le métal, aplati, marque une frontière entre deux aplats de couleurs vives. La plasticité immaculée de la peinture se fait alors élément industriel, étalée uniformément sur la toile tandis que le métal, issu lui-même de l’industrie lourde, porte les stigmates du temps, les cicatrices aléatoires de ses circonvolutions, modelé qu’il est afin de convenir au projet de Tremblay. Prisonnière de deux champs qui la bordent et l’enserrent, cette langue de métal se voit pliée sur elle-même, évoquant insidieusement un ruban de Möbius, boucle sans début ni fin dont la charge d’infini renvoie à l’usage même de la parole et à son champ de possible. Rien d’étonnant alors à ce que l’une d’entre elles porte pour titre Language Inside Language.
En perpétuel mouvement, les toiles de John Tremblay opposent les formes géométriques statiques à des éléments qui viennent en troubler la fixité et les animer d’un mouvement intérieur qui, à l’instar d’ Electronik-Baukasten par exemple, révèle une proximité troublante avec le cinéma. Entre la netteté des cadres, l’incertitude de la trace posée à la bombe, la variation aléatoire des espaces et la répétition des motifs, cette escalade visuelle se parcourt en tout sens et révèle la possibilité même d’une variation de lectures, d’un spectacle organisé qui se jouerait à même la toile.
C’est ainsi ce sentiment d’énergie certes secrète mais bien concrète qui fait vibrer les motifs et expérimentations de John Tremblay qui, à travers les découpages, les trous et recompositions de ses toiles, imagine les veines capables de transmettre le plaisir de l’invention des formes, la joie du combat des couleurs. Et ces dernières se déportent vers le spectateur comme des affects contagieux que l’esprit et le corps ne peuvent qu’assimiler avec bonheur.