Entretien — Iván Navarro
A l’occasion de l’exposition Where is the Next War ? d’Iván Navarro est accueillie jusqu’au 1er juin à la galerie Daniel Templon, nous avons cherché à le sonder, tenté de le situer, lui qui est constamment présenté comme descendant de l’Op Art, artiste minimaliste alors qu’il ne se reconnaît ni dans l’un ni dans l’autre de ces mouvements. Point décisif avec le créateur d’œuvres dont l’aspect coloré n’entame en rien la part sombre de sa représentation du monde. Rencontre.
Léa Chauvel-Lévy : Dans votre travail exposé à la galerie Templon, vous semblez mêler deux influences et en premier lieu celle du pionnier de l’art optique Josef Albers. Pourquoi ce choix ? Que représente son travail à vos yeux ?
Iván Navarro : Je trouve que l’art de Josef Albers représente l’équilibre parfait entre la couleur et la forme. Il est aussi très représentatif de la façon dont l’industrialisation peut participer du processus de création d’une œuvre il me semble.
La deuxième source d’inspiration de votre récent travail The War Series présenté dans ce parcours est Francisco de Goya, pourriez-vous nous expliquer également cette référence, ainsi que le croisement entre Albers et Goya ?
Iván Navarro — Where is the Next War? @ Templon Gallery from April 25 to June 1, 2013. Learn more La référence à Francisco de Goya est très spécifique : je n’utilise, dans ma nouvelle série The War Series , que les titres des gravures de sa série Les Désastres de la guerre (1810-1820), des légendes très ambigües et très puissantes. Telles que ; « La vérité est morte », « Avec ou sans raison », « Etonnante dévotion ! », « Farandole de charlatans », « Enterrer et se taire », « Crier en vain »… J’ai décidé de faire se rencontrer ces deux références, Josef Albers et Francisco de Goya, pour que les titres de la série de gravures de Goya deviennent bien plus un commentaire sur la perception que le commentaire originel sur les désastres de la guerre. Les compositions d’Albers sont devenues, elles, des enseignes lumineuses. Et le changement constant de la lumière par l’utilisation d’un synchroniseur qui règle le rythme d’allumage des néons crée une multitude de versions de la même pièce. Au fond, l’idée est d’interroger comment une œuvre d’art peut être comprise de différentes façons.Pourriez-vous, préciser si vous vous reconnaissez dans l’Op Art (art optique) ? On vous présente toujours comme artiste conceptuel, vous diriez-vous minimaliste ?
Je ne me reconnais pas dans l’Op Art, car l’art optique est purement formel, or mon travail combine abstraction et idées figuratives. Et je suis anti-minimalisme. Mon travail n’est pas aussi pur que l’art minimal. Je ne suis pas non plus un conceptuel : l’art conceptuel se préoccupe seulement des idées, or mon travail implique des matériaux et des idées.
Pourquoi avoir choisi ce titre pour votre exposition : Where is the Next War ?
En intitulant l’exposition Where is the Next War ? , je ne fais pas référence à une guerre spécifique. Je vois cet intitulé comme le gros titre spectaculaire en première page d’un journal… Ou comme une illusion.
Vous avez grandi sous la dictature de Pinochet, dans quelle mesure vos œuvres sont-elles des références directes à l’oppression, la censure de ce régime politique ?
A moins que je ne décide de dédier un projet au thème de la dictature chilienne, je crois que mon expérience de vie au Chili m’influence surtout d’un point de vue personnel. S’agissant de mes œuvres, je travaille différents matériaux et différents sujets qui n’y font pas toujours référence…
Vous contrebalancez toujours les messages politico-sociaux à la dureté implacable par des couleurs d’une gaité absolue, que recherchez-vous dans ces couleurs fluos, pimpantes de vos néons ?
J’essaie de trouver et de montrer le côté sombre du spectacle…
… Avec notamment les Twin Towers que l’on voit de haut ? Abyssales, vertigineuses, toujours créées par un jeu de miroir angoissantes et attirantes, que vouliez-vous que le regardeur ressente ?
Un vertige. J’ai choisi de m’intéresser aux Twin Towers car la hauteur de ce bâtiment était une représentation du pouvoir économique des Etats-Unis. Et après l’attaque des deux tours en 2001, ce lien est devenu encore plus évident.
Vous exposez une chaise qui mêle design du XXème siècle et néons clairement connotés « Dan Flavin », que cherchez-vous dans cette rencontre de deux modernismes ?
En confrontant plusieurs références modernistes, je montre que deux artistes peuvent avoir tant en commun, mais que leur réunion en une œuvre unique produit d’incroyables contradictions visuelles et conceptuelles.
Le processus de mise en abîme par miroir, que vous utilisez de façon omniprésente dans l’exposition, semble dessiner une passion pour le lointain, l’infini, la démultiplication. Que recherchez-vous, pour finir, dans ces perspectives qui prolongent le regard, l’emmènent au-delà d’une simple dimension ?
La notion d’infini participe d’une idéologie politique à laquelle le capitalisme veut nous faire croire : l’illusion sans fin d’un progrès qui nous maintient en vie…