Éric Baudart — Les Tanneries, Amilly
Présentée du 05 octobre au 05 janvier 2020, l’exposition personnelle d’Éric Baudart aux Tanneries d’Amilly honore un artiste qui, dans l’économie du geste, l’économie des moyens, souligne en profondeur les arcanes d’un système complexe qui nous inclut autant qu’il nous révèle sa capacité, comme la nôtre, à exclure. De par son intelligence et sa subtilité pourtant, il semble nous laisser les moyens de s’en émanciper pour porter sur lui un autre regard.
Le faire est ainsi refait. Non pas à l’identique mais pas non plus à l’impossible reconnaissance : le recyclage dont il est question ici est à prendre au sens littéral, l’objet est intégré dans un nouveau cycle de vie, un nouveau cercle de connaissance. Sans virer à la métaphore, Éric Baudart laisse errer son regard sur ces errants immobiles pour y déceler la possibilité d’une nouvelle forme qui, elle, nous installe dans un face-à-face inattendu. L’ « étrangèreté » fait place à une étrangeté qui révèle le pouvoir de la ligne, le dialogue des pleins et des vides dans un environnement qui se lit à l’aune de ses nouveaux habitants. Balloté par les zones d’intérêt, magnétisé par les éclats de reconnaissance, comme une épiphanie face à un élément égaré depuis toujours, le spectateur devient à son tour cet objet abandonné à sa propre nécessité, essentiellement incompréhensible par un tiers qui l’envisagerait comme on observe la magie chaotique d’un sac plastique mû par les rafales d’un vent invisible.
Le chaos, l’absurde et l’inutile deviennent alors, chez Baudart, la triade poétique d’une fabrication de la fantaisie, où la gravité des souvenirs et des sentiments perce la muraille primaire de sens qui n’auraient pas perçu la portée de ce qui « reste ». Par dissémination, par contagion d’idées, les matières elles-mêmes se muent pour inscrire, dans l’horizon d’envergure de la salle principale des Tanneries, des mirages d’objets à l’apparence piégeuse, jouant du retournement de tous les possibles. Les amas de carton, repeints et s’extirpant des cimaises dressent dans leur volume, un parallèle confondant avec des matelas usés pour finalement, en seconde lecture, rappeler qu’évoquer les rebuts de l’humanité c’est également parler de ceux qui en vivent, de ces conditions de misère qui représentent un quotidien pour nombre d’entre nous. Loin de sublimer la détresse et l’économie de la récupération, Éric Baudart, dans sa manière de la réutiliser, réoriente bien plutôt notre regard, notre appréhension de l’objet vers la pluralité de sens qu’il porte en lui, en use et le sculpte comme un prisme à travers lequel se projettent toutes les réalités qu’une vie en mouvement occulte.
Faire arrêt, ôter au décor urbain une partie de son arrangement pour recomposer un monde qui en rejoue la complexité, de par sa décontextualisation même, n’est pas la moindre des embûches conceptuelles de ce travail passionnant qui se place hors de toute morale mais ne cache pas sa puissance éthique.
Derrière la réussite formelle, l’attention aux compositions, la multitude d’idées et d’astuces esthétiques qui participent pleinement à la création de ses œuvres, c’est ainsi une éducation au regard, un aiguisement de l’attention auxquelles nous confronte Éric Baudart, nous laissant tout loisir de les adresser alors au monde pour y construire notre propre perception.