Friedrich Kunath — Le Crédac, Ivry
Si l’on peut admirer avec raison les peintures de Friedrich Kunath, qui se jouent des codes de la composition, de l’histoire du kitsch et de l’art avec une virtuosité saisissante, force est de constater que l’exposition qui lui est consacrée au Crédac peut laisser un goût amer, la mise en espace jouant à fond la partition thématique de l’artiste, et ce jusqu’au trop-plein. Malgré une certaine science de l’efficacité visuelle, à l’image de son installation de valises semblant prendre leur envol, chargées de livres ou disques, on reste dans un empilement à la symbolique pour le moins didactique, que sauvent cependant ses toiles en fin de parcours.
Friedrich Kunath — A Plan to Follow Summer Around the World @ Le Crédac, Centre d’art contemporain d’Ivry from January 17 to March 23, 2014. Learn more Il faut donc se contenter d’œuvres à « message » dans une première salle qui accumule les lourdeurs, des mocassins monumentaux emplis de sables à la véritable chaussure changée en maison de poupées, de la série de photos avec déshabillage progressif d’un homme — l’artiste — vu de dos au montage vidéo du même artiste coupant le champ à travers les villes du monde sans cesser de courir, pour finir sur l’errance d’un bonhomme de neige épuisé par le poids de sa propre valise sur fond de musique mélodramatique. La suite est à l’avenant avec l’amorce d’une réflexion sur la part d’animalité et sa représentation, mais encore une fois, entre la charge symbolique de ses vidéos et l’irruption de figures animales sur fond de musique sentimentaliste, ces mise en scène sans nuance paraissent décalées en regard des enjeux sociétaux qu’elles pourraient soulever. De la position d’artiste du flux défendue au sein de l’exposition, il ne reste qu’une collection éparse de trouvailles aux allures de « bonnes idées » immédiatement matérialisées par des œuvres qui partagent un même thème mais ne dialoguent pas entre elles. Rien ne force ici à penser, on assiste, impuissant, aux soubresauts d’un esprit qui ne paraît même pas tiraillé par la contradiction fondamentale d’un éloge du départ, du retrait, et une lourde tendance à se mettre en scène. Pourtant, indéniablement, l’accumulation d’installations et d’images sauve cette exposition, lui procurant un effet visuel loin d’être anodin, raison sans doute pour laquelle le manque de subtilité paraît si criant.Un constat d’autant plus amer que la dernière salle, avec ses toiles passionnantes où la somme d’éléments, heurtant les fonds composés et brisant les structures à grands coups d’incursions de corps étrangers (irruption d’un personnage de cartoon, d’un motif criard ou d’un rapide croquis) révèle une belle inventivité et d’une rare liberté dans la forme. Les époques et les mondes se bousculent, l’ironie se confronte enfin au sérieux, Friedrich Kunath organisant l’affrontement ésotérique des archétypes publicitaires et décoratifs avec l’inspiration bourgeoise fin XIXe. Le coucher de soleil paradisiaque affiche sa nature mensongère, ou tout du moins fantasmée, et se fait support de visions hétéroclites, d’apparitions absorbées et digérées en un même regard. À la faveur des toiles qui y sont exposées, A Plan to Follow Summer Around The World trouve sa véritable profondeur et installe un regard oblique sur le monde, celui-là même d’un voyageur qui parvient à problématiser ses propres expériences troubles d’un espace-temps emmêlé, perturbé par la cohabitation et la survie d’univers épars.
Le Crédac propose donc une exposition déstabilisante qui, si elle a le mérite de montrer un artiste moins connu en France, accompagne sa démarche sans parvenir à la mettre en perspective et à prendre le recul nécessaire pour la parer d’une légèreté dont elle aurait largement pu bénéficier. On peine en définitive à percevoir, dans ses sculptures, installations et vidéos ce qui constitue proprement la « différence » dans la langue de Kunath, une frustration d’autant plus prégnante que ses propres toiles semblent, elles, dépasser allègrement toute lourdeur pour offrir un véritable horizon de réflexion.