Ndayé Kouagou — Le Plateau, Paris
Le Frac Ile-de-France accueille au Plateau la première exposition personnelle dans une institution française de Ndayé Kouagou (né en 1992 à Montreuil, vit et travaille en banlieue parisienne) dont les différentes pratiques, dépourvues de hiérarchie entre elles, s’articulent autour du langage.
Ndayé Kouagou rend tangible ses textes en les exposant dans une installation intitulée Petit comme moi (2023). Il les présente dans des cadres suspendus au plafond, à l’instar d’enseignes ponctuant l’espace public qui proposent des solutions adaptées à nos vies. Telles des pensées en suspension, oscillant entre vérité et incertitude, candeur et gravité, ces réflexions monologiques sont écrites à la première personne, invitant le visiteur à se les approprier. « Il transforme le moi en nous » peut-on lire très justement dans le journal d’exposition.
Parce que l’échange avec les publics est constitutif de sa pratique, Ndayé Kouagou investit le nouvel espace de pratique libre du Plateau, le faisant déborder volontairement sur l’entrée de l’exposition pour créer un atelier en son sein même. La première salle s’articule autour de l’œuvre Good People TV. Au mur tapissé d’un papier peint reprenant le logo éponyme répond un demi-cercle de moquette disposé au sol qui invite à s’installer face à un écran diffusant une vidéo en trois épisodes de quelques minutes chacun. L’artiste y apparait seul sur un fond uni aux couleurs pop, cadré face caméra en plan rapproché tel un présentateur de journal télévisé. Des émoji, des images d’internet et des extraits de textes viennent ponctuer son discours. Ndayé Kouagou s’inspire des nouveaux médias à l’origine de la culture numérique dans laquelle il a grandi.
Good People TV initie le parcours de l’exposition en invitant les visiteurs à se rendre, à l’issue de la vidéo, « au coin » où l’installation Will you feel comfortable in my corner ?, composée d’une vidéo, d’assises et de tableaux, fait entrer le visiteur un peu plus dans l’intimité de l’artiste en occupant son espace. Ndayé Kouagou s’adresse directement au public. Certaines parties de son discours se superposent parfois à l’image pour mieux certifier ses idées. Le questionnement collectif alterne avec un discours plus introspectif, exprimé en aparté au visiteur par l’artiste. Les tableaux, neuf œuvres bidimensionnelles en tissus et résine, chacune présentée dans un encadrement en métal, sont disposés de façon à créer des recoins isolés propices à une réflexion sur nos relations aux autres, et surtout notre relation avec nous-mêmes. Une étiquette accrochée à chaque cadre renferme des écrits de l’artiste abordant les notions de vulnérabilité, d’universalité, de légitimité. En rendant public son espace privé, il interroge, avec l’humour et l’ironie qui le caractérisent, la possibilité de son partage. Un coin partagé est-il encore personnel ? Conserve-t-il sa singularité ou est-il semblable aux autres ? Si chaque coin reflète la personnalité qui l’occupe, de qui tente-t-on de se protéger dans ces espaces refuges ?
À l’issue de cette séquence, le visiteur est invité à faire un choix entre « le monde » et « le changement ». Le premier espace est occupé par A Coin is a Coin (2022) qui comprend une vidéo en deux parties, une fresque en aluminium et des tableaux en plexiglass, tissu et résine. Le personnage fixe l’objectif, nous parle, nous questionne, nous conseille. Il est ici délibérément ambigu et contradictoire, portant une parole collective et contemporaine à la manière de celle des influenceurs, nouveaux gourous contemporains. Mais à l’inverse de ces derniers, Ndayé Kouagou ne cherche nullement à apporter des réponses. Au contraire, il sème le doute dans nos certitudes pour mieux nous amener à les interroger et ainsi à porter un autre regard sur le monde. La vidéo A Change of Perspective, qui donne son titre à l’exposition, est projetée sur la totalité du mur du second espace, celui du changement. L’artiste apparait presque à taille réelle, dialoguant avec une audience hors champ. Il alimente sa réflexion par un jeu de questions-réponses, se contredit. Il change de costume quatre fois, comme pour refléter l’évolution de sa pensée. L’artiste, qui a débuté dans le milieu de la mode, accorde une grande importance aux vêtements dans son travail, collaborant avec la styliste australienne basée à Paris Ally Macrae. Les interrogations qu’il soulève montrent combien notre regard et nos opinions sont conditionnés par la place que nous occupons.
Ndayé Kouagou nous invite à modifier de quelques degrés notre point de vue sur le monde. En se déplaçant de la marge vers le centre cependant, il opère un changement qui peut aussi avoir des conséquences indésirables. La possibilité de tout voir inclut aussi ce que l’on ne veut pas observer.
1 Flora Fettah, « Conversation avec Ndayé Kouagou et Harilay Rabenjamina », Bruise Magazine, 19 juillet 2021, https://www.bruisemagazine.com/article/ndayé-kouagou-harilay-rabenjamina
2 Cité dans Céline Poulin, « Sur Ndayé Kouagou », Journal d’exposition, Frac Ile-de-France, Paris, 2023, p. 12.