Christine Safa — Galerie Lelong & Co.
La galerie Lelong & Co. présente une exposition personnelle de la jeune peintre Christine Safa (née en 1994) qui mêle paysages, portraits et végétation dans une peinture sensible qui se joue des vapeurs de la réminiscence. Avec pour seule boussole la prégnance de ses souvenirs, l’artiste aborde la toile sans illusion.
L’image, subordonnée à ce triple filtre que sont la perception, le rêve qui la prolonge et la peinture qui la rend s’inscrit donc comme la dernière forme d’illusion, tandis que son évidence, sa netteté et la réduction de ses infinies variations lui confèrent une réalité immédiate. Cette trouble beauté d’un regard qui nous emmène à sa suite observer les variations du soleil sur le paysage comme sur les visages. Pourtant demeure ici quelque chose d’une âcreté, d’une pesanteur qui, derrière la quiétude de vastes horizons au soleil changeant, semble nous interdire de nous y reposer. Des failles, des retraits, des disparitions. Une montagne puissante mais comme dépouillée de sa réalité, des reflets torves, submergeant de leur rouge cinglant des failles impossibles.
Parce qu’elle peint ce qui reste, ce qui ne « change pas » dans un monde en constant bouleversement, Christine Safa révèle ainsi une image en transition, presque en déliquescence. Si l’image photographique constitue l’essentiel des visions que nous partageons aujourd’hui, Safa fixe l’instantané de ses souvenirs forcément déjà érodés par la mémoire, éloignés dans le temps mais surtout étrangers dans l’espace. Plus alors qu’un moment, c’est une synthèse du lieu quitté qui se fait jour, un précipité sentimental des affects qui s’y sont joués et s’inscrivent en silence dans les anfractuosités de la lumière.
De l’onirisme à un réalisme cru, les souvenirs, forcément rêvés, s’incarnent en images que ses traits, dans leur clarté naïve, parviennent à troubler. À l’image du visage récurrent de Nathan qui, réduit à ses lignes les plus simples, n’en est pourtant pas moins vacillant, jusque dans sa fonction même. Sujet de la scène, héros de la mémoire ou ajout tardif, outil de composition prêtant son corps au tableau pour précisément y mettre de la vie. Portrait actif ou simple motif, sa fonction varie, de même que son corps virant de la chair au spectre, laissant tantôt passer la lumière tantôt la filtrant. De la retranscription originelle supposée d’un souvenir de l’intimité de l’artiste, découvrant de multiples paysages à ses côtés, son corps se mue en un prétexte, presque un objet témoin de la variation infinie de lumière. Baudelaire, qui pouvait voir dans un hémisphère dans une chevelure, ne navigue pas si loin du romantisme magnétique de Safa qui fait de ce corps « conjoint » le support d’une horizon soleil couchant.
Parce que la mémoire, imparfaite retranscription d’une infidèle vision est la ligne directrice de ces visions, l’unité qui s’en dégage stupéfait ; les paysages de Grèce, du Liban, de l’Italie, loin d’être interchangeables partagent une intimité, un même sang dans leurs variations, ils procèdent d’une semblable idée qui les a encapsulés et leur donne une identité, les adopte et en fait une famille.
Un présent continu, jamais parfait et polysémique, lié au temps comme au don, à l’image du formidable tableau de fleurs, offert comme un point de suspension qui s’intègre pourtant au fil de ce voyage immobile. L’abstraction, l’imaginaire convoqués dans la simplification des traits éludent alors au final le passage du temps pour installe une chronologie narrative plus proche de la variation d’intensité des sentiments que du battement des aiguilles mécaniques.