Estefania Penafiel Loaiza — Le Crédac
Chez Estefanía Peñafiel Loaiza, tout est question d’abandon, de disparition autant que de trace, d’un amoncellement des marques secrètes pour tisser le fil narratif d’une histoire qui s’efface. En investissant le Crédac, qui occupe l’ancienne manufacture des Œillets, l’artiste a souhaité mettre en lumière le passé de ce bâtiment ouvrier tout en imaginant la possibilité d’une persistance de sa présence, de son présent. À rebours, l’artiste fait émerger les formes lorsque celles-ci s’en sont allées. Non pas du vide, mais de l’oubli, d’un trop-plein d’images qui en auraient chassé les souvenirs.
Fragments de main, fragments d’histoire, la série Commune présence est constituée d’une centaine de photographies recardées autour des mains d’ouvriers au travail, ces mêmes mains que celles de l’artisan qui remettent en état de marche l’horloge qui orne le fronton de la manufacture. L’artiste a en effet fait appel à un spécialiste pour relancer le mécanisme de l’horloge et en a tiré une vidéo sous forme de triptyque, Remontages (Ivry-sur-Seine, avril 2014). D’un indicateur de temps comme mesure du travail accompli, l’artiste réinvestit un savoir-faire au service d’un souvenir, une restauration technique à visée poétique. La frontière géographique s’efface à son tour et, déambulant dans le bâtiment de la manufacture des Œillets, on marche sur cette charge de souvenirs, sur ce sol qui porte les stigmates lourds de machines dépecées, de travailleurs déplacés.
Du dépouillement, du minimalisme de la scénographie émerge un torrent d’idées qui trouvent leur apogée dans les deux dernières pièces présentées, qui finissent de décliner la porosité essentielle du travail de l’artiste ; une illustration concrète de l’inversion de la causalité. Au mur, Daylight Factory dispose des tubes de néon éclairés sporadiquement par un projecteur de diapositives. Au rythme de la machine sont donc ressuscitées les fonctions premières de ces luminaires qui reçoivent, à la manière d’un cœur réanimé, l’éclairage nécessaire qu’elles émettaient autrefois. Fragile et percutante, cette installation détourne alors le temps mécanique et la fonctionnalité même du projecteur pour dispenser dans l’objet manufacturé une chaleur terriblement humaine. De l’humanité, il en est enfin question avec L’Espace épisodique, strates de plastiques posées même le sol qui, selon leur découpe, enregistreront les traces du passage, mais aussi du lieu. Comme les couches d’épiderme marquées par les rencontres avec l’extérieur, cette peau de plastique forme une véritable matière organique et dessine en négatif l’œuvre d’un temps qui n’est rien sans l’histoire des peuples qui le vivent, qui n’est rien sans le lieu qu’il traverse.
De ces strates, de ces reliques singulières, de ces recherches même sur la forme, Estefanía Peñafiel Loaiza installe et habite de sa radicalité un lieu qui se voit ici honoré avec grâce, tandis qu’elle continue d’écrire en transparence le manifeste d’une archéologie de la mémoire.