Giulia Andreani — Passé, présence
Remarquées lors du Salon de Montrouge 2012, les toiles de Giulia Andreani bénéficient, en ce début 2013 d’une double actualité. Présentés à la galerie Bendana-Pinel en janvier dernier et exposés jusqu’au 2 mars à la galerie de l’Escale de Levallois, ses travaux offrent une exploration troublante et envoûtante au cœur de nos mémoires.
Si ses recherches iconographiques la mènent principalement à traiter de l’histoire de son pays, l’Italie, ainsi que des figures internationales de la Guerre Froide, c’est bien la porosité de toute « représentation » qui marque dans sa peinture. Entre ses portraits de dictateurs réalisés à partir de photographies de jeunesse (Forever Young) et ses reproductions de scènes de films italiens, Giulia Andreani distille une étonnante ambiguïté. La calme évidence, voire la légèreté, de ses figures représentées trahissent une violence terrible en jeu dans ces histoires, dans ces sociétés. Sans hiérarchie, les figures internationales côtoient les anonymes, les portraits sobres font face aux images de spectacle. Et partout ce même mystérieux détachement ; en choisissant de reproduire des images de l’histoire, Giulia Andreani les en abstrait et les inscrit hors de la temporalité.
C’est ainsi en jouant sur les codes de cette histoire, à l’image de la citation sublimement administrative qui sert de titre à son exposition : « Non si passa la frontiera senza aver redatto completamente e consegnata la cedola statistica » (On ne passe pas la frontière sans avoir complètement rempli et remis le coupon statistique ), en retranscrivant des photographies et autres scènes de films amateurs que Giulia Andreani impose un décalage redoutable qui vient trancher la beauté formelle de ses œuvres pour en révéler toute la force dans un mélange de gravité et de fantaisie. Manifestant sa présence et ses interventions dans l’élision de visages, membres ou matières, l’artiste s’impose, dans ces images d’archive, précisément par l’absence. Démiurge assassin, elle fait de ses personnages des spectres en transit, d’une mémoire l’autre. Sans virer dans la démonstration, Giulia Andreani retouche, élude des morceaux d’histoire pour réinventer des narrations, des interprétations possibles.
Avec une belle pudeur, Giulia Andreani entre dans le passé et se fait elle-même fantôme de l’histoire, capturant dans les souvenirs d’autres les racines d’une mémoire « à venir ». Autrement dit, elle qui souhaite « restituer un regard » entaille bien plus encore la mémoire du spectateur pour lui greffer les spores de souvenirs qu’il n’a jamais eus. En silence, les poses, préciosités, conventions sociales et anecdotes s’unissent pour créer un almanach des sentiments qui défie la logique même du temps et rappelle, avec force, la complexité essentielle de la notion d’appartenance lorsqu’elle est accolée aux souvenirs. Dans la coulure de l’aquarelle, dans la porosité des lignes et l’humidité des teintes, Giulia Andreani, à rebours des tentations de fixer le passé, réactive finalement la possibilité d’un écoulement possible du temps passé, une tentation folle de faire du passé non pas un objet fini mais un activateur de « vécu », pour ses acteurs comme pour ses spectateurs. En ce sens, si l’artiste témoigne de quelque chose, ce n’est pas d’un contenu d’histoire mais de son impossible séquestration du présent. Le passé n’a rien d’autoritaire, rien de fini et rien de privé, il est un possible déjà partagé.
Expositions à venir de l’artiste :
Du 14 au 21 mars, Tracing Coordinates au Palazzo Malpiero, à Venise — Exposition collective curatée par Elena Squizzato dans le cadre du projet No Title Gallery 2013.
Du 3 au 14 avril, L’Abri, à la Galerie Journiac, Paris 15e — Exposition collective organisée par les étudiants de l’Université Paris 1-Sorbonne.
Du 11 au 14 avril, Drawing Now, Salon du Dessin Contemporain.