L’exposition d’un rêve — Fondation Calouste Gulbenkian
La proposition de Mathieu Copeland dévoile à la Fondation Calouste Gulbenkian un dispositif sonore composé à partir de douze rêves de créateurs. Une définition du rêve qui se passe d’image et qui apprivoise le visiteur par le son.
Qui connait Copeland ne sera alors pas surpris de pénétrer un espace d’exposition vide et austère. Murs blancs, moquette grise, quelques cousins chétifs : de prime abord, on ne peut pas dire que le white cube se prête ici à la relaxation. Seul le dispositif sonore — une série d’enceintes descendent du plafond — ponctue les différentes chambres dépouillées. Face à une telle épure scénographique et aux sons qui enrobent le lieu, peu d’autres choix que de s’en remettre au sol.
Les rêves lus sont des compositions sonores immersives et intenses qui oscillent entre musique électronique expérimentale et field recording. Dans la lignée du spoken word, les voix ont magiquement été mises en musique par le musicien allemand F.M. Einheit. Particulièrement envoûtants, ces récits sonores s’inscrivent dans la démarche du field recording en témoignant du moment et du lieu de captation sonore, à savoir le jardin Gulbenkian. Des enregistrements ont également été faits en public et en privé dans deux amphithéâtres de la Fondation Gulbenkian à Lisbonne, l’amphithéâtre en plein-air et le grand auditorium. Ils deviennent ainsi les traces de cette mémoire intime qu’ont accepté de délivrer des auteurs tels que Apichatpong Weerasethakul, Pierre Paulin ou Gabriel Abrantes. « Conçue comme un disque » (un disque inexistant qu’on a envie d’acquérir), l’exposition tapisse le vide de la vue par celui de l’ouïe avec des histoires denses et des sons captivants.
Réceptacle de l’action passée et de l’immatériel, cette production musicale inédite est alors aussi temporaire que les mandalas qui accompagnent l’exposition. En effet, une sélection de mandalas (des dessins de de José de Almada Negreiros, Philippe Decrauzat, Myriam Gourfink, Olivier Mosset et Eduardo Terrazas) ont été choisis après l’écoute des compositions de F.M. Einheit. Ils ne sont visibles que dans le livret de l’exposition.
Malgré la justesse et l’ingéniosité subtile de la proposition de Mathieu Copeland, le choix scénographique trouve une certaine faiblesse dans la stratification de l’information sonore : les rêves sont lus en français ou en anglais et les voix sont accompagnées d’une création sonore. L’intelligibilité des histoires oniriques devient parfois difficile ; il faut alors se laisser bercer par l’ensemble polyphonique. Également, aucun visuel ne nous entoure mais le regard finit par s’appuyer sur le seul contenu que nous avons à disposition : le livret de l’exposition ; support textuel qui retranscrit en français tous les rêves des créateurs. Plongés dans la lecture des textes, la méditation laisse place à la confusion : notre concentration se voit perturbée par les voix qui forment alors un écho avec notre lecture. L’opération d’abstraction et de visualisation n’opère plus.
Cette invitation est une démonstration scientifique de commissariat très convaincante mais s’éloigne — par l’éclat lumineux du white cube — de l’expérience sensible de son sujet : le rêve. Plein phare dans la caverne, le rêve s’évanouit à la lumière du jour. Pourquoi ne pas nous avoir baigné dans le plus envoûtant des noirs ?