Mauvaises Herbes ! — CPIF, Pontault-Combault
Au Cpif, la nature reprend ses droits et déploie ses linéaments dans les interstices de la photographie. Tout entière tournée vers la génération et la prolifération d’une nature au sein d’espaces qui défient son existence, l’exposition Mauvaises Herbes ! explore les relations de notre territoire avec une végétation qui remet en cause notre perception de l’espace.
Avec quinze artistes invités, le Cpif offre une exposition manifeste sous le commissariat de Luce Lebart et Nathalie Giraudeau qui, derrière une certaine poétique de la lisière, fait de la végétation l’actrice principale d’un art qui nous révèle tout autant le monde qui nous entoure que la manière dont notre regard peut l’appréhender.
Entre documentation et argument, la photographie illustre ici de véritables démarches de vie engageant des pratiques sociales qui vivent la nature et en font un allié inaliénable à observer pour accomplir son activité. De la plongée de Jurgen Nefzger aux côtés d’activistes peuplant une forêt destinée à accueillir un site de stockage de déchets nucléaires au travail de repérage de marques de passages d’hommes au sein dans les bois et autres champs de Calais par Bruno Serralongue, de l’activité des glaneurs aux périphéries urbaines immortalisée par Geoffroy Mathieu aux fleurs impromptues de Véronique Ellena ou herbes sauvages d’Edith Roux, la végétation se donne comme un indice d’habitabilité ou ressource d’ingrédients comestibles et poétiques capables de nourrir notre imaginaire comme notre intelligence du monde. Un imaginaire proprement excité et activé par les visions provoquées par l’ingestion d’ayahuasca, dont l’artiste SMITH offre une synthèse, imaginée sous l’effet de la plante et la mettant en scène de même que Pepe Atocha vient redessiner sur les photographies de plantes des liens intimes et immatérielles qui les relient.
Autour de cette réflexion riche et offrant des éléments d’actions concrètes, il est aussi question de réhabilitation morale dans ces Mauvaises Herbes !, auxquelles la langue même fait un sort, leur attribuant dans leur dénomination même des épithètes qui, de vertueuses à nuisibles, grèvent sur elles nos fantasmes humanistes de maîtrise absolue de domination de la nature. Eric Tabuchi et Nelly Monnier révèlent dans leur photographie monographique de lierre la contradiction entre la lutte des jardiniers (notamment de cimetières) contre le cette plante et ses propriétés constitutives pourtant « dépolluantes », Simon Boudvin renverse le caractère « invasif » de l’ailante en capturant dans un quotidien réordonné ces marques végétales qui habitent la ville et le quartier comme autant de figures familières. Crystal Bennes, elle, observe les mouvements, liés aux migrations de population, de plantes sauvages dessinant une histoire parallèle et analogue à celles des hommes.
En ce sens, chaque œuvre présentée ici, comme un miroir tendu à son sujet, déploie sous nos yeux sa stratégie particulière de développement, nous forçant à la regarder pour ce qu’elle est et non pas seulement pour la manière dont elle nous impacte. Le renversement moral est complet : ces herbes n’ont de « mauvais » que l’incapacité que l’humanité a éprouvé de les appréhender pour ce qu’elles sont.
C’est ainsi le potentiel de forces, la vivacité et diversité des approches qui font de cette exposition une expérience sobre et profonde où la modestie des manifestations les plus infimes de la nature nous connectent, à travers la multitude d’images, à un ensemble immense qui, plus encore que nous côtoyer, nous contient.