Le Pouvoir du dedans — La Galerie, Noisy-le-Sec
La Galerie de Noisy-le-Sec présente une exposition qui, malgré quelques limites dans sa présentation, met un point (virgule) fabuleux à plusieurs années d’une programmation et d’une ambition uniques, tout entières tournées vers l’autre sans jamais avoir perdu l’exigence d’une création consciente de sa place dans l’histoire et dans le présent.
Le decorum, profondément marqué par les superbes luminaires de Laëtitia Badaut Haussmann alimente cette ambiguïté entre « art de vivre » inaccessible à la majorité et mise à « disposition », à expérimentation d’un luxe qui dépasse la simple ornementation pour se faire signature d’intérieur, imprégnation d’identité dans le recouvrement de l’espace. Autour de cette exploration de la valeur du domestique dans la question du design et de la fonction, les structures de Tiphaine Calmettes invitent, elles, au repos mais aussi au jeu. En attente donc, La Galerie engendre le mouvement autant que la stase du visiteur, le dialogue ouvert autant que la plongée intérieure, l’appropriation d’un lieu mais aussi d’un temps auquel convie ce canapé qui s’affaisse en une circonvolution sensuelle comme un appel à retrouver le sol. Les autres sculptures d’Euridice Zaituna Kala contribuent à magnifier ce spectacle en jouant habilement de miroirs et d’éléments simples pour perturber plus encore le regard. Un espace accueillant et perturbant qui incite tout aussi bien à l’occupation qu’à la contemplation. Le design réunit et repousse tout à la fois, sépare les espaces tout en les décorant. La notion de fonctionnalité s’étend alors à l’exigence de remettre en cause sa déambulation entre ces structures étonnantes. Avec une cohérence de style, la Galerie aménage son espace en territoire fonctionnel et prêt à l’appropriation tout en maintenant une certaine ambiguïté.
Car ici, l’interactivité n’a rien à voir avec le geste commandité par un dispositif ordonné mais bien plus avec le jeu ; le jeu à inventer entre ces structures qui conduisent au déséquilibre du corps, mais aussi au « jeu » qui est laissé entre les modules de l’exposition, cette forme d’incertitude, de flottement qui ouvre une brèche à l’imaginaire. Une exposition « inclusive » donc, plus qu’interactive. En phase avec un temps qui exhorte, pour le meilleur et pour le pire, à l’investissement de soi, la mise en jeu de son corps et de son image dans une expérience qui elle-même est « médiée » par le filtre de sa sociabilisation, pour ne pas dire « spectacularisation ». Une « performation de l’expérience » en quelque sorte qui se trouve ici déconnectée pour naître de la pure invention, d’un imaginaire sollicité et assez affecté pour remplir son rôle de générateur d’expérience directe. En phase avec son lieu également, une maison bourgeoise au pied de barres d’immeubles populaires, un intérieur visible de l’extérieur comme une ouverture, un « dedans » délimité mais pas enclavé.
Écho à cette histoire singulière, l’exposition Le Pouvoir du dedans imaginée par Élise Atangana prolonge ce geste en s’emparant de ce qui est « déjà là » pour surligner les contours d’une programmation d’interventions et de rencontres centrées autour de savoirs alternatifs et de pratiques ésotériques abordant notamment le thème de l’écoféminisme. Si l’on ne doute pas du sérieux de la programmation sur la durée, l’exposition fait malheureusement œuvre d’un mutisme étonnant autour du sujet et laisse place à un discours évasif qui, s’il a le mérite d’appeler à une forme d’échanges « à venir », multiplie les analogies hasardeuses tirant, par moments, vers une étrange licence à l’obscurantisme de forces indéterminées érigeant le fantasme du « soi » comme baromètre de la relation aux autres. On y sent néanmoins, au prix d’un certain effort intellectuel, les bien plus intéressantes brèches ouvertes par La Galerie ces dernières années autour d’une tentative d’invention de communication et d’échanges par l’affect, où la rationalité se voit poussée à ses limites par la réalité d’autres formes de partage. La Galerie a toujours su dessiner les contours d’une poétique du savoir qui, justement, brille par son ouverture à l’autre et non pas par la primauté de l’inspiration personnelle, précisément le nœud à déboulonner pour accueillir la différence et « apprendre ».
À ce titre, la vidéo d’Emmanuelle Lainé et Benjamin Valenza est particulièrement touchante, effaçant les visages des principaux acteurs de La Galerie pour faire résonner leurs voix à travers le corps d’une actrice unique qui semble jouer, en parallèle et comme une métaphore de celle-ci, une multitude d’autres histoires.
C’est donc plus dans l’appropriation de l’espace d’exposition et la mise en avant de cette somme de possibles qu’elle invite à faire émerger que tient la force de cette « séquence » de La Galerie. Une fois encore, elle explore la possibilité d’établir des stratégies depuis un « ailleurs » bien concret, celle d’un art exigeant qui repense les modalités de l’exposition et l’envisage comme une plateforme propre à éveiller les discussions, les échanges. Car il s’agit bien d’échanges, si les recherches formelles des artistes présentés convoquent l’histoire, ils engagent également une dimension pratique propre à la « présence » du corps visiteur. Les médiateurs présents dans la galerie y tiennent ainsi une place de choix et leur investissement, loin de se perdre en discours abscons, privilégient, on l’a constaté, la concrétude de l’expérience et le pas de côté des attendus d’une œuvre. Un visiteur engagé comme acteur, du simple passant au jeune public invité constamment à prolonger les projets présentés.
Une conclusion qui n’en est pas une, sans discours programmatique mais un programme bien concret ; une ambition qui passe par les actes et une transmission par l’affect, consciente du décalage entre pétition de principe et mise en place, une problématique fondamentale pour la pratique et le rôle de l’exposition. Car, en tous lieux, ce projet porte tout entier la question du "curare" latin qui porte en lui la notion d’avoir soin, de « s’occuper » mais aussi de « gérer », « d’administrer »… Autant d’actes qui renvoient à l’activité curatoriale ; l’équipe de la Galerie aura ainsi été curatrice des expositions, des œuvres qui leur survivent ici, curatrice également de l’espace et de sa volonté, curatrice enfin de tous ceux qui en auront franchi les portes.