Xavier Veilhan — La Villette
La Villette présente, à partir du 17 décembre le spectacle de Xavier Veilhan, Compulsory Figures, développé en résidence (et présenté début décembre) aux Subsistances de Lyon. En association avec le chorégraphe, danseur et patineur Stephen Thompson, l’artiste explore un champ nouveau de la création qui, s’il promet une expérience sensible et sensorielle poussée, n’est pas dénué d’enjeux conceptuels pertinents.
La notion de spectacle est ainsi primordiale ; Xavier Veilhan organisant dans un temps donné les conditions nécessaires à la vision pour éveiller des sentiments qui emmêlent les paradoxes pour inventer une dramaturgie indépendante d’une narration première. Ici, les tensions se nouent dans le projet, dans la réalisation même du dessin par le danseur, dans sa capacité à embrasser, par le mouvement de son corps, la finitude figée de l’exigence accompagnant le dessin industriel, au cœur de sa mission du soir. Rabattu à son étymologie qui rend la primauté au voir, le « spectacle » retrouve ici une dynamique singulière et exigeante. Une exigence dans son thème d’abord, explorant la discipline des « Compulsory Figures » qui exigeaient des patineurs la réalisation, avec leurs lames, de figures géométriques parfaites. Tombée en désuétude dans les années 1990, l’épreuve imposait une économie particulière du mouvement et un relâchement savamment calculé pour n’être jugée qu’à l’aune du motif produit ; l’antithèse en quelque sorte du patinage artistique où la virtuosité est d’abord une question athlétique.
Or, ici, la virtuosité paraît bien plus être une question de forme, une économie du geste pour toucher à la pureté de la ligne. Le cercle, cette figure qu’un simple mécanisme suffit à rendre évident pour la main de l’homme devient ici l’enjeu d’un déplacement codifié, le patinage artistique, dont Xavier Veilhan explore les règles pour façonner des tableaux éphémères, gravés au sol sous le poids d’un corps qui se plie à l’exercice. Et l’artiste se met lui-même en scène, installé sur une impressionnante table de travail et occupant le rôle de démiurge en dialogue avec le danseur instrument qui prolonge le travail de sa main.
Sur la pesanteur de la glace, la légèreté du corps de Thompson, emporté par le mouvement de la glisse grave de son paradoxe la multiplication des motifs d’une chorégraphie qui, au-delà de l’horizontalité de la scénographie, invente la verticalité d’un plan qui se dessine sous les patins du danseur. Les dimensions se retournent, s’échappent, l’écran se parant d’images d’archives, de dessins réalisés par Veilhan lui-même, d’une retransmission des cicatrices en extension de la patinoire. Une fresque de figures géométriques accidentées, tantôt réalisées sous nos yeux, tantôt portées à même le corps du danseur, réactivant les problématiques d’équilibre présentes dans le corpus de Veilhan depuis ses premières œuvres, que l’on pense au Supermarché de 1997 et ce pingouin à taille humaine comme toujours prêt à vaciller jusqu’à ses récents Stabile.
Le dessin de l’artiste sur glace, tout comme le dessein de l’artiste derrière son chevet ne semblent se révéler qu’à la mesure du passage du temps, du passage des lames sur un sol qui se pare de tout ce qui le frôle, comme une mine scellée à la feuille, dessinant une ligne continue dont la liaison est précisément l’essence. Là encore on retrouve la notion de mouvement perpétuel chère à l’artiste. Le dispositif de lumière semble ainsi destiné à mettre en valeur chaque particule séparée du canevas de glace initial pour réinventer sa propre féerie, son esthétique du spectaculaire. Une notion qui se trouve donc au cœur de la création d’un artiste dont la multiplication des œuvres iconiques, ces dernières années, côtoie la capacité à se jouer de l’effacement, du vide même de matière témoin pour s’enrichir dans le processus, à l’image de son audacieux projet présenté lors de sa participation à la Biennale de Venise.
Compulsory Figures porte donc en soi la promesse d’une véritable réflexion qui s’aventure sur les terres de la représentation du spectacle, pour prolonger et élargir un œuvre qui continue de questionner les possibilités, tout comme les limites, de son déploiement.