Cindy Sherman et le masque
À l’occasion de sa récente exposition à la galerie Gagosian, Cindy Sherman revient à nouveau grimée et fardée, presque défigurée par endroits, cachée pour mieux se montrer. Retour sur cette mise en scène post-moderniste fascinante qui cultive d’inquiétants paradoxes.
Celui d’abord de l’artiste elle-même qui refuse catégoriquement de parler d’autoportraits là où chacun en reconnaît techniquement pourtant le genre. Clown monstrueux, femme d’intérieur des années 60, texane au maquillage orange, femme du monde, et ici sorcière ou princesse médiévale vêtue d’apparats griffés Chanel, Cindy Sherman a fait du déguisement une règle.
Dès lors, lui demander de reconnaître qu’il s’agit bien d’autoportraits reviendrait à nier l’essence même de son travail, faire croire au monde entier qu’elle est une autre. Comment nommer dans ce cas ces photographies où l’artiste se représente elle-même ? En l’absence de catégorie nouvelle, Cindy Sherman impose une béance conceptuelle aussi passionnante qu’intrigante réactivée non sans violence dans ce parcours. Béance qui justifie bien entendu tout son édifice de création et interdit tout espoir de lui faire entendre raison, son système reposant sur l’idée quasi obsessionnelle qu’elle peut se fondre dans autrui. Se fondre, certes mais devenir, jamais.
En cela Sherman est pathétique, au sens d’émouvante, à lutter sans cesse contre elle-même et se cherchant par delà elle-même. Au premier plan de ses « autoportraits » mais toujours cachée, elle incarne la figure de l’hypocrite (en grec, masque). Voilà sans doute pourquoi sa production déstabilise : tension entre le volontarisme de la mise en scène et l’identité dérobée renvoyant constamment en sourdine à la duperie, au mensonge, ennemi universellement terrifiant. Cindy Sherman, en mentant à la vue de tous, est « humaine, trop humaine ».