Ariane Loze — Centre d’Art contemporain Chanot, Clamart
Le Centre d’Art contemporain Chanot de Clamart présente la première exposition personnelle de l’artiste belge Ariane Loze, remarquée notamment lors du 63e Salon de Montrouge pour sa production vidéo. Une plongée sidérante dans un œuvre miroir qui assume son vertige et se réinvente avec pertinence depuis une dizaine d’années.
Du 12 février au 07 mai 2021, découvrez deux vidéos d’Ariane Loze, les deux vidéos Utopia et Mainstream :
Utopia from Archipelago on Vimeo.
Mainstream from Archipelago on Vimeo.
Derrière cette formule aussi péremptoire que discrète, c’est toute l’écriture d’Ariane Loze qui semble se ranger, conservant dans chacune de ses pièces la simplicité de l’évidence et le vertige d’une répétition des apparences qui transitent à travers les genres narratifs, de huis clos intimistes aux scènes de dialogues actifs, de scenarii de science-fiction aux expériences quasi-muettes autour de l’image.
Si l’on pouvait craindre une redondance et une perte de la fraîcheur d’invention dans la mise à l’épreuve d’un dispositif qui s’appliquerait à l’envi aux multiples situations qu’elle aborderait, cette exposition a le mérite de faire immédiatement tomber les masques. La production d’Ariane Loze est déjà riche d’un corpus multiple aux rebondissements inattendus, aux tonalités sans cesse réinventées avec une intelligence jubilatoire. L’invitation lancée par le CACC confirme la solidité de cet œuvre cohérent, où différence et répétitions se croisent avec une réussite qui confirme le statut auquel elle risque bien d’accéder d’ici peu. Avec une énergie et une invention dévorantes, ses nombreuses vidéos tracent la géographie d’un univers mental clos par définition mais infiniment plastique par son invention. À travers la quinzaine de vidéos présentées dont la production s’étale sur une dizaine d’années, Nous ne sommes pas, nous devenons nous plonge dans une proximité troublante avec ce personnage jouant et suscitant une variation sans fin d’émotions ; la prégnance du visage, de ses cheveux, de ses mains sont autant de balises servant à suivre le défilé des identités de ce théâtre de marionnettes qu’elle dispose.
Dans ses mises en scènes minimales où les personnages se distinguent par leur coiffure ou leurs vêtements, elle entraîne une litanie de caractères qui se répètent, se répondent et s’invectivent tout en portant, à travers ce même faciès, le sceau d’une familiarité impossible, maniant l’art de la dispute en figeant le masque. Le visage de Loze devient alors le code d’autorité de la parole et cette forme d’astre qui magnétise le visiteur durant les près de deux heures de vidéos que présentent le centre. Ce champ d’attraction qui nous rapproche et nous éloigne dès que le ton se fait sec, abrupt et cassant fait ainsi naître une empathie toujours mouvante, jamais installée.
Impressionnant par sa tenue, son sérieux et sa folie, cet univers riche et complexe qu’elle dessine et décale, touche après touche, renouvelle constamment son champ d’action. Avec ses moyens, elle crée des récits d’anticipation comme des documents intimistes où seules quelques phrases suffisent à installer une atmosphère crédible. Un regard, un geste, un détour inattendu de son corps bouleversent et suspendent la moelle de ses fictions. La force de l’intrigue se voit réduite à l’essentiel. Mais nombre de ces vidéos cachent aussi une drôlerie indicible, un sourire caché d’une écriture qui semble toujours aussi amusée de cette unité multiple des rôles qui remet toujours en perspective ses narrations. Loin de se perdre ainsi dans la virtuosité d’un geste qu’elle maîtrise, au fil des années, de mieux en mieux, Ariane Loze multiplie les prises de risque, intègre la performance à ses montages, élargit ses plans jusque dans l’espace de l’exposition (à l’image de la grande table disposée dans la dernière salle qui accueillera le 17 février une performance de l’artiste) et glisse avec agilité entre les genres, les sujets et les contextes.
En ce sens, l’œuvre Le Banquet fait figure de synthèse totale des interrogations de l’artiste, mettant en scène des femmes dans un intérieur renvoyant directement à l’installation au cœur du centre d’art et agitant, au fil d’un échange à voix multiples, des problématiques propres à ses œuvres abordant sans transition les questions de l’autre, de la solitude, du groupe, de la recherche de soi, de l’apparat.
Dans la multitude de ses propres visages, Ariane Loze invente une langue par échos, chaque point de départ (un mot, une phrase, un regard, un geste) se fait épicentre d’une ondulation à venir qui impactera, ou non, les variations des autres. Usant de jargons techniques, ses personnages développent des propos qui soliloquent et que la rencontre avec d’autres ornent d’autant de barrières, dans la bizarrerie de leur résonance, dans la proximité du sens mêlée à la défectuosité de l’échange. S’organise ainsi un kaléidoscope au cœur duquel Ariane Loze fait de toutes les Ariane Loze qui se croisent, se toisent et se confondent des personnages qui avancent inéluctablement, parlent pour « se » dire plus encore que pour dire.
Face caméra, les phrases prononcées égrènent des généralités qui retrouvent la neutralité froide du discours technique lorsqu’elle évoque les sentiments. De ces paraboles vides, aux allures de formules publicitaires auto proclamant leurs décisions comme autant d’intériorisations du verbiage de la littérature d’épanouissement personnel, l’artiste se fait écho de notre angoisse face à ces « personnalités » définies, dont le discours s’accorde à la perfection avec un comportement, le justifiant autant que le rendant tangible. Au-delà alors de sa teneur critique, son ironie, la véritable force d’Ariane Loze tient à sa capacité de faire lire, en négatif, gravé sur l’envers d’un masque qu’elle n’a pas besoin de passer, sa propre impossibilité à atteindre l’unité, l’univocité d’un caractère. Cette cohérence certainement fantasmée mais à tout le moins rendue tangible par la représentation qu’on s’en fait, de l’autre. Ariane Loze tourne alors la focale pour se jouer, à son tour, comme autre, comme tous ces autres qui sont autant de moments de formulations.
L’artiste nous tend ainsi son miroir sans tain pour métamorphoser le vertige, lui dessiner des limites pour mieux l’enfoncer dans sa ligne de fuite. Un détournement vibrant de la capacité magique du miroir de dédoubler notre propre corps et l’intégrer dans l’espace, entretenant l’illusion de la dualité tant que la conscience ne se figure pas l’autre comme simple perspective de soi. Dans sa galerie des glaces, Ariane Loze maintient ainsi une distance en continu, une impossible et pourtant évidente réalisation de la fiction dans la répétition du motif. De même qu’elle est seule à l’écran, ses discussions et dialogues laissent toujours entendre une distance essentielle et infinie d’un personnage à l’autre, lesquels sont aussi nécessaires que dispensables, aussi présents que possiblement spectraux. Naît ainsi ce puissant et terrible sentiment de solitude d’un effort voué à l’échec, celui d’être comme l’autre sans être autre.
Dès lors, les films d’Ariane Loze embrassent et assument l’impasse en offrant, à travers les images, le jeu et l’invention, une variation fantastique autour d’une identité plastique qui se construit tout autant qu’elle se cherche, par détournements, vols, outrances, certitudes et terreurs dont la réunion au sein de cette exposition nous offre un fabuleux visage.
Ariane Loze sera également présentée à la galerie Michel Rein du 09 février au 06 avril 2019