Le vent se lève — MAC VAL, Vitry
Le Mac Val propose, avec Le vent se lève qui rouvre le 17 juin 2020, un parcours fantastique dans la création d’aujourd’hui avec une sélection d’œuvres de sa collection qui rappelle la finesse de ses choix autant que l’intelligence de ses positions. Nous vous proposons de la découvrir en mots et en images.
S’il est question ici de temporalités, de lignes de vie qui ont précédé — voire qui s’apprêtent à succéder à — celle des hommes, c’est bien l’expérience de cette terre, du rapport au sol qui marque le plus évidemment l’esprit. « Le vent se lève » pour infléchir le regard et jouir de cet horizon de gravité qu’est le sol, cette force d’attraction qui enserre sous les couches de sédimentation successives les archives de vies qui nous devancent. La prégnance de la marche s’imprime d’abord avec l’œuvre centrale de l’exposition, Desire Lines de Tatiana Trouvé, qui dresse au centre de l’espace d’exposition ses imposantes bobines renfermant les cordes épaisses qui sont autant de rappels de marches effectuées dans Central Park et rapportées aux grandes marches de l’histoire ; politiques, philosophiques, musicales…
Cette pièce, d’une grande force emprisonne une multitude de symboles et de niveaux de lecture dans un outil d’appropriation ancestral du monde et des éléments, la corde, pour créer un atlas monumental et secret liant le disparu (le souvenir de ses marches) non seulement à son histoire mais aussi à celles, invisibles, qui ont marqué leur temps. Désormais soumise à son tour aux vicissitudes du climat, chaque corde rend tangible l’archive d’un temps devenu distance, rendu matière. Un écho réjouissant au Bureau des Activités implicites, l’une des premières œuvres de l’artiste intimement liée à l’histoire même du MAC VAL.
La marche, le glanage et cette invitation à observer ses pas, la vie qui les entoure avec notamment la très belle machine Racine de Jean Tinguely, les silhouettes de feuilles de Thu Van Tran, Au couchant de Fordlandia, l’expérience de la terre par une Gina Pane qui s’y plonge sans s’y confondre avec Terre protégée et l’horizon à « ras de terre » de Stéphane Thidet dans la vidéo Soleils. Le sol donc et sa richesse avec une place de choix ménagée à l’archéologie avec la toujours aussi efficace installation de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Time Capsules qui présente des prélèvements tubulaires de la couche terrestre, superbes totems de verre qui capturent en leur sein un temps à nouveau matérialisé (dont nous parlions ici ) mais aussi de l’archéologie imaginaire des reliques fantastiques de Philippe Mayaux, Lignes du Masozoïque,kaléidoscope éclaté des ruines de son propre univers mental.
Très présente également, la plage, cet espace limite de notre expérience de la terre « ferme » battu par les vents les plus fougueux permet d’élargir encore les horizons avec une part d’onirisme plus sensible mais pleine également de paradoxes. Les coquilles sont prisonnières chez Laure Prouvost, Agnès Varda emprisonne dans ses cadres les perspectives sur la mer et Pierre Ardouvin relègue le majestueux Soleil couchant à nos pieds dans une pièce aveugle.
Autant d’exemples parmi une multitude de superbes œuvres qui dessinent un parcours à la hauteur d’une institution qui continue d’affirmer son rôle moteur dans l’art d’aujourd’hui. Mais plus encore, l’exposition parvient à jouer avec les pièces et à activer, le temps de leur présentation, un sens que l’on ne pouvait que pressentir, à l’image de la grande installation de Morgane Tschiember qui trouve, dans la finalité du parcours, une force narrative renouvelée. Du jeu sur les codes de l’art minimal à l’origine de Swing, son installation composée de bandes de PVC suspendues en travers d’une pièce se charge d’une force d’évocation de l’élément aquatique, voire d’une sortie des entrailles d’un cétacé qui conclut à merveille ce parcours sous le patronage du Cimetière marin.
Se joue certainement la part la plus vibrante de l’exposition dans la manière de faire résonner la poésie de Paul Valéry , Le Cimetière marin, dont est extrait son titre. Comme un renouveau après le vertige abyssal du reflet que lui tend la mer de sa condition, le poète exorcise son doute en une exhortation finale « Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! ». Il ramène ainsi, avec autant de pudeur que d’énergie, la perspective d’une existence qui ne peut plus se cacher derrière le fantasme d’un « maître et possesseur » de la nature, mais bien encourager chacun des êtres humains à embrasser, au-delà de la reconnaissance de la fragilité d’un monde dont chacun de nos actes modifie la ligne de vie, l’aveu de notre précarité plus grande encore.
C’est alors encore Philippe Mayaux que l’on retrouve avec une seconde installation hypnotique, Sinusoidon, dans laquelle un doigt trace sur un plateau de sable une ligne perpétuellement effacée et infiniment continuée. Au cœur du paradoxe, dans une combinaison poétique saisissante, l’artiste fait, de la vie de l’homme, de son empreinte, une tautologie vertigineuse dont la beauté n’a d’égale que la vanité. Et, cette fois, c’est bien le sable de la terre qui en est le reflet.